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« L’art s’arrête où la diète est strictement suivie » : voilà ce que proclame le Regimen Sanitatis Salernitanum, recueil d’aphorismes médiévaux dont s’empare Ondine Cloez. La chorégraphe fait de ce régime biologique un régime poétique, tant sa forme anti-spectaculaire et anti-formelle nous confronte comme jamais au naturel presque inconvenable des interprètes. Les corps de Clémence Galliard, Anne Lenglet, et d’Ondine Cloez elle-même surgissent dans leur ultra-présence (elles jouent à la balle avant la représentation, sans aucune volonté d’exploit) et en même temps dans tout leur anachronisme. Les trois consoeurs tentent de se reconnecter vocalement, physiquement et surtout temporellement à des préceptes du Moyen âge bien plus gouailleurs et humains que les sentences bienfaitrices d’aujourd’hui. Le charme indescriptible de leur geste supplante son indéniable âpreté (le dispositif bâillant par sa dramaturgie répétitive). L’archéologie gestuelle de Cloez, programmée par la note d’intention, mute peu à peu en rêverie nostalgique. La distance mesurée entre les trois corps fait advenir comme rarement le passé. Le XIIIe siècle est à la portée de quelques pas et ces trois femmes nous apparaissent finalement, autour de cette table gourmande où elles conversent à la bougie, comme des spectres très familiers. Des amies d’hier et d’aujourd’hui qui contredisent par leur protocole éternaliste un précepte essentiel de leur livre : « L’art ne saurait de l’homme éterniser les jours. »