Il est un vieux dicton espagnol qui énonce peu ou prou : “Je ne crois pas aux sorcières, mais elles existent.” Et si elles ont acquis au fil des siècles un haut degré d’existence, au-delà de leur présence putative au fond de nos forêts obscures, c’est que l’art et la littérature s’en sont emparées avec une ferveur propre aux plus grands excitants de l’imaginaire.
La sorcière, confirme Alix Paré dans ce joli compendium qui indexe, du Moyen Age à l’époque contemporaine, ses plus saisissantes représentations picturales, est une figure multicéphale dont les supposés attributs titillent les artistes : du chaudron méphitique de Daniel Gardner illustrant Shakespeare (1775) à la chevelure baudelairienne de “La Petite Sorcière” de Félicien Rops (1896), de la lance-balai de Salvator Rosa (vers 1646) à la noire pomme de discorde de Kiki Smith (2000)… D’aucuns diront que la sorcière a connu un basculement ontologique : d’abord figure abominable sur laquelle se cristallisent les peurs patriarcales du futur continent noir freudien, puis icône féministe, point de vue confirmé par les oeuvres d’Annette Messager et de Louise Bourgeois, même si celles-ci sont absentes de l’ouvrage. On se demande, à cet égard, ce que donneraient les différences historiques avec l’iconographie, masculine, du sorcier.
Une certitude : la sorcière habite la uncanny valley qui nous sépare des territoires obscurs de l’au-delà, et touche à un point nodal de l’inconscient collectif, décuplé par l’image. Formellement, d’ailleurs – comme d’habitude dans la belle collection Ça c’est de l’art du Chêne – l’opus laisse respirer au mieux les illustrations, et offre un contenu ultra-pédagogique qui en ferait un compagnon idéal pour les professeurs (même si on s’interroge sur la pertinence du découpage en deux parties contre-intuitives, “Les Incontournables” et “Les Inattendus”, on aurait préféré un net tracé chronologique).
Laissons le dernier mot à l’irrésistible et intemporel “Dictionnaire du Diable” d’Ambrose Bierce : “Sorcière, n. f. : 1) Horrible et repoussante vieille femme, en perverse activité avec le diable. 2) Belle et attirante jeune personne, dont les perverses activités dépassent le diable.”