Cette anthologie de créatures et personnages mythologiques et littéraires, de Dracula à Robinson Crusoé en passant par Job et Frankenstein, aurait pu être l’oeuvre de Borges, dont Manguel fut brièvement, dans sa prime jeunesse, le secrétaire (et qui fut d’ailleurs l’auteur, au milieu des années 60, d’un savoureux “Dictionnaire des êtres imaginaires”). C’est qu’il y a chez Alberto Manguel, comme dans la tradition du réalisme magique argentin, un plaisir certain dans la lecture des histoires fantastiques et des récits de héros atypiques dont la transversalité littéraire devient un objet d’exégèse – et, parmi eux, on constate une certaine dilection pour les seconds couteaux : M. Bovary plutôt qu’Emma, Gertrude et pas Hamlet, Jim au lieu d’Huckleberry Finn, et le grand-père d’Heidi. Mais ces “Monstres fabuleux” ne sont pas un dictionnaire pédant : à plus de soixante-dix ans, Manguel, qui semble adresser l’ouvrage à tous les petits-enfants du monde, éprouve comme le besoin d’une transmission du savoir, celle du récit d’une vie racontée par des souvenirs de lecteur : “J’ai toujours considéré ma vie comme un composé des pages de nombreux livres.” Et l’opus qui s’en suit est avant tout l’oeuvre d’un grand humaniste, dont les comptes-rendus, à défaut d’être d’une originalité renversante, sont autant de chemins de traverse pour s’insinuer, par la littérature, avec humour et érudition, dans l’histoire philosophique de l’humanité. Ponctué par une trentaine d’illustrations réalisées par l’auteur lui-même, voilà un geste éminemment borgesien qui interroge le rôle de la fiction dans nos vies, et redonne l’envie de se plonger le soir, sous les draps, dans les aventures livresques de notre jeunesse.