© Fabien Coste

Porté par son histoire et inspiré par une toile du Musée d’Orsay, le rappeur Abd al Malik amène à la scène le récit d’un jeune homme noir du 21e siècle.

Attention, affiche ! Sur le plateau, c’est avant tout la rencontre de trois grands noms : le rappeur Abd al Malik, le chorégraphe et danseur Salia Sanou et le peintre symboliste Pierre Puvis de Chavannes. Mais c’est aussi le récit d’une vie que nous venons entendre, puisque c’est inspiré par le « Jeune noir à l’épée », célèbre toile conservée au Musée d’Orsay, que le rappeur parisien a voulu nous raconter l’histoire de ce « jeune noir, à peine sorti de prison, dans sa cité HLM. » Histoire de notre temps, donc, qui donna lieu d’abord à la réalisation d’un livre-album, avant d’être adaptée à la scène en avril 2019 avec le concours du chorégraphe burkinabé Salia Sanou. Rien que de très louables intentions, portées par de belles et images et le phrasé fractionné, accidenté, du chanteur, auteur et compositeur.

Reste pour autant qu’un tel spectacle laisse derrière lui des questions auxquelles il est infiniment compliqué de savoir s’il répond correctement. Ici, tout le monde semble être la place qui est sienne depuis tant d’années. Le rappeur prend celle du repenti conscient, sincèrement habité d’un fond que l’on sent indéniablement bon, à la technique irréprochable et à l’écriture incisive. Le chorégraphe et ses danseurs ont aussi la leur, différente mais qui véhicule également l’odeur d’un parfum déjà respiré : celui des corps noirs au service de la mise en abyme d’une histoire sociale et coloniale aussi douloureuse que scandaleuse. Et puis le public, qui occupe le fauteuil le plus gênant de l’histoire : celui réservé à ceux d’entre nous, honteux d’un passé et d’un présent qu’ils ne parviennent à contredire par eux-mêmes, qui viennent au prix d’une place de spectacle s’acheter la certitude d’une conscience politique pourtant si flottante à en croire les résultats électoraux de ces dernières années.

Alors bien entendu, ceci n’est pas le fait des artistes, qui font leur travail. Mais est-ce bien la meilleure des manières de combattre ? Sommes-nous tous au bon endroit, chanteurs, danseurs, chorégraphes et publics, quand nous écoutons l’histoire de ce jeune homme de cette façon-là, à cet endroit-là ? Les talents de chacun et la bonne volonté de tous semblent indéniables, mais une question subsiste, âpre et amère : en acceptant ces rôles, ne serions-nous pas les idiots utiles d’une idéologie qui, pendant que nous sommes au concert, ne cesse de nous entraîner sur la pente du racisme et de la division ? Dans tous les cas une certitude : le 22 avril de cette année, cela fera au moins 18 ans que cela dure, et que nous continuons de chanter.