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L’agencement millimétré des corps, leur chorégraphie d’emblée tendue par delà tout l’espace de la scène, un canapé noir conspirent à notre intranquille installation au cœur de “Trust”. La vespérale captation de la Schaubühne, heureuse alternative en ces temps où tous les théâtres doivent rester fermés, se fait simultanément nôtre : l’agora est ma chambre, l’espace public est un espace privé ; paradoxe inouï si fécond pour les Grecs de l’époque. Richter et van Dijk, en laissant advenir l’étrangeté, s’obstiner les paradoxes ; par la maîtrise d’une esthétique épurée, le dépliement rythmique d’un langage de l’interrogation, nous administrent une leçon en temps de crises économiques dans une société qui a tourné comme le lait. Les héros ordinaires de “Trust” transfèrent, dans un cri organisé, leurs désirs personnels, leurs triomphes individuels, leurs désarrois intimes comme des traders transpirants achètent et vendent des titres sur les marchés boursiers. Insidieusement, la crainte de l’effondrement incube. On se plaît alors à rêver au monologue comme affirmative altération de soi contre la boucle de la répétition ; le monologue de la perte du propre ouvrant au pluriel. Mais comment peut fonctionner une société sans confiance ? Que deviennent ces relations sans consistance et que faire avec tous ses semblables dissemblables ? On le sait : il faut se faire une raison ; la valeur ajoutée de tout
normopathe. On ne peut oublier ce tableau comme une longue description muette, véritable analogon politique, où des corps propriétaires logiquement empressés sont gouvernés par le « système » comme des petits colis d’un mégacentre de tri qui s’entrecroisent algorithmiquement sans se heurter : navigation point par point qui tient ce qu’elle gagne, sans doute rien d’autre. Mais si les acteurs sont inoubliables, on échoue néanmoins à cette destitution de tout héros de l’intérêt individuel. Hölderlin avait raison : « A quoi bon des poètes en période pitoyable » ?