© Richard Schroeder

“C’est l’histoire de deux jeunes poissons qui nagent et croisent le chemin d’un poisson plus âgé qui leur fait signe de la tête et leur dit, Salut, les garçons. L’eau est bonne ? Les deux jeunes poissons nagent encore un moment, puis l’un regarde l’autre et fait, Tu sais ce que c’est, toi, l’eau ?” Le discours de fin d’études prononcé par David Foster Wallace en 2005, dans une université de l’Ohio, commence par une parabole volontairement un peu cliché. S’en suivent quatre mille mots d’un plaidoyer magnifique (qui n’est pas sans rappeler celui de Jaurès au grand lycée de Toulouse en 1892) pour la revitalisation de notre quotidien et le décentrage de nos petits égos. De cette matière destinée dès l’origine à l’oralité, Marie Vialle choisit une appropriation bien à elle, à la fois respectueuse du texte et affranchie de tout hommage purement formaliste au romancier culte. Si elle tombe parfois dans un semi-kitsch volontairement assumé à grand renfort de chansons et de poses cabaretiques qui préfigurent le traditionnel bal de fin d’année des campus américains, elle mêle des fragments de son histoire personnelle – en quête d’une connexion avec l’oeuvre de Wallace par le truchement d’un étudiant en philosophie à Princeton – avec douceur, humour et bienveillance. Elle délivre ce message essentiel, qui ne saurait être circonscrit aux seules oreilles fraîchement post-adolescentes : ce qui compte, ce n’est pas la capacité de penser, mais de savoir à quoi penser. Car il n’est pas question d’attendre la déroute, la vérité avec un grand V concerne bien la vie avant la mort. Comment mobiliser son énergie vitale autour de choix qui nous appartiennent vraiment ? Refusant tout moralisme, ni Wallace, ni Vialle n’avancent de panacée au désarroi ontologique qui s’éveille au moment du passage à l’âge dit adulte. Mais ils esquissent le tracé d’une éthique personnelle qui rend un peu plus supportable le long chemin qu’il nous reste à parcourir tous ensemble. L’éducation à la pensée et l’émancipation sont assurément le travail d’une vie. Et, où que l’on en soit, tout commence maintenant.