La gestation d’un objet théâtral relève d’une autre temporalité, faite d’impondérables, d’hésitations, de recherches, d’errances et d’illuminations. Il est rare que l’on soit convié à cheminer aux côtés de ces arpenteurs des plateaux. Mais lorsque l’occasion s’offre à nous, il ne faut pas bouder ce plaisir. Le Collectif Le Denysiak, dans le cadre du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole, nous a ouvert les portes du Glob Théâtre pour une sortie de résidence étonnante et, pour tout dire, réjouissante.
Avant que ne s’éteigne la lumière, Solenn Denis nous prévient : ce que nous allons voir n’est qu’une étape de travail propédeutique à une nouvelle forme d’écriture au plateau et de jeu. Trois femmes puissantes, dans un coin reculé, assises devant trois ordinateurs connectés. Le public choisit parmi deux thèmes qui lui sont proposés – ce soir-là ce sera « Utopies » – et décide qu’Aurore Jacob prendra en charge le texte du comédien Erwan Daouphars, que Julie Ménard écrira celui de Vanessa Amaral tandis que les didascalies sont attribuées arbitrairement à Solenn Denis. Trois écrans en guise de murs de scène et un quatrième au-dessus du public, visible uniquement par ceux qui jouent et celles qui écrivent. Cette scénographie, longuement réfléchie et peut-être appelée à évoluer, devient le cadre intime et en même temps ostensiblement dévoilé d’une création spontanée. L’immédiateté d’une écriture tissée d’erreurs – qui parfois deviennent des trouvailles – et de fautes de frappe conduit par moment les trois Parques à effacer, retrancher ou ajouter des fils à ces vies incarnées par le couple étonnant que composent Erwan Daouphars et Vanessa Amaral. Les deux comédiens plongent avec un talent indéniable dans le vide et se saisissent du texte qui jaillit sous nos yeux, de ses vides et de ses absences. Assurément ce que nous avons vu est appelé à grandir, mais le Collectif Le Denisyak renoue avec l’élan vital qui présida à sa naissance. C’est ce Collectif que nous aimons, ces êtres qui tâtonnent mais éblouissent.