L’envers du monde cherche sa fenêtre

Shell Shock

(c) Delphine Perrin

Pour sa nouvelle création, la compagnie Loba, dirigée par Annabelle Sergent, s’est attaquée à une question à la fois actuelle et immémoriale : « À quoi rêvent les enfants en temps de guerre ? » « Shell Shock », commande de la compagnie à l’auteure Magali Mougel, constitue la seconde partie du diptyque (indépendante de la première, la pièce « Waynak », actuellement en tournée) consacré à ce thème ardu. En résulte un spectacle ambitieux, encore fragile par endroits, qui pose tout à la fois la question de la représentation de l’indicible et de la transmission de l’expérience de la violence. « Shell Shock » plonge ainsi le spectateur dans l’intimité mentale de Rebecca (Annabelle Sergent), photoreporter de guerre à son retour d’Irak, qui retrouve son confort et sa petite fille Samaraa. Très vite, on comprend que l’expérience de ce reportage n’a pas été comme les autres et a provoqué chez la jeune femme le fameux shell shock, terme désignant le trauma vécu à l’origine par les soldats rescapés de la Première Guerre mondiale. À la manière d’un stream of consciousness qui n’est pas sans rappeler l’écriture de Virginia Woolf, Mougel reconstruit avec force et talent les allers-retours entre le présent et le passé, la superposition de l’expérience de guerre et sa litanie (le mot « Bagdad », qu’il n’est plus possible de prononcer) et le décalage de celle-ci avec la vie des « vivants ». La mise en scène d’Hélène Gay, sobre, au plus proche du texte, tente alors de rendre avec le plus de précision possible ces variations d’humeur, le désarroi du personnage de Rebecca, qui oscille entre le souvenir impossible de « là-bas » et sa vie d’Occidentale protégée « ici ». On s’interrogera pourtant sur la possibilité réelle de transmettre cette expérience de guerre par le langage : l’auteure fait le choix d’une langue franche et descriptive qui intègre la poésie au vécu même de la violence ; pourtant, le moment où elle semble toucher au plus juste n’est pas la description du bombardement et du massacre, qui, on aurait de la peine à l’expliquer, a des difficultés à trouver son incarnation réelle dans le corps et la voix d’Annabelle Sergent. Non, là où Mougel effleure une vérité sur l’expérience de guerre, celle qui nous parviendrait de manière indiscutable, c’est précisément lorsqu’elle parle de ce qu’elle semble connaître (au sens d’expérience vécue) : l’irruption de la beauté salvatrice, ici sous la forme d’une jument qui parcourt les rues de la ville irakienne détruite. Là, cet « envers du monde qui cherche une fenêtre » émerge enfin, dans la justesse de la scène, et nous sommes pleinement, avec Rebecca, dans les rues d’un Bagdad tout à la fois ville et métaphore.