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Rabattre le théâtre dans ses ruines pour mieux en resculpter « l’os de seiche » est un acte nostalgique et rénovateur qui imprègne depuis quelques années la scène contemporaine. Après le « Sopro » de Tiago Rodrigues et le « Why » de Peter Brook, un certain Däper Dutto (figure énigmatique qui cherche, comme le romancier Antoine Volodine, à s’effacer comme figure auctoriale) propose de remettre l’acteur et ses fantômes au centre de la piste. Dans le bel espace à vif de Jessy Ducatillon, où la lumière du jour semble pénétrer et s’effacer comme dans le plus simple appareil antique, les comédien.ne.s de Marie Josée Malis (rejoints par de jeunes recrues très prometteuses) n’auront qu’une obsession : faire entrer l’invisible, l’impensé et le trou dans cette grande chambre claire, où la vieille machinerie du théâtre avec ses trappes farceuses et ses velours emphatiques s’invite comme un rêve. Conférences, déclamations, confidences et représentations se mêlent dans ce laboratoire du point du jour où acteurs et spectateurs sont mus par la même quête, celle que résume un bel adage du spectacle : « Ce qui dans le monde ne peut se dire, c’est ça que nous attendons toujours au lever du rideau. »

Depuis Edward Gordon Craig et son « Art du théâtre » qui, en 1905, théorisait ses lubies symbolistes en rapiéçant le grand mythe antique de l’acteur, la psychanalyse lacanienne redonne aujourd’hui de la matière conceptuelle et organique pour appréhender l’anatomie psychique et mystique de l’interprète. Dans un prologue (un peu long lorsqu’on a étudié consciencieusement le programme de salle), la pensée de Lacan est reprisée à plusieurs avant que le brigadier sonne l’heure des retrouvailles théâtrales. D’« Antigone » à « Britanicus », du « Médecin volant » aux « Enfants Tanner » (qui donne lieu à une composition mémorable de Lou Chrétien-Février), le répertoire se réimprime en vignettes fugitives. Il ne cherche plus à saisir ni à émouvoir, mais à éprouver ce qui, dans son « gonflage grimaçant » (activé par la déclamation fondante des comédien.ne.s) pourrait produire une buttée sublime contre le réel. Si toutes ces interrogations sont loin d’être neuves et que le dispositif finit par lasser, les “Acteurs !” de Däper Dutto concrétisent un décadrage essentiel. A défaut d’atteindre cet objet (a) dont tous les textes troués sont faits, à la vie comme à la scène, ils parviennent à refaire du théâtre l’espace des lacunes miraculeuses, lieu des artifices en berne, « piège à regard » qui dit souvent vrai.