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Non, le « Pinocchio » de Matteo Garrone n’est pas une énième transposition léchée et commerciale du conte italien (comme le déclarent certains confrères critiques). C’est un très beau film, intrigant et novateur, qui fait glisser (et mentir) le mythe avec subtilité.

Le « Pinocchio » de Joël Pommerat (dans ses versions théâtrales et opératiques) envisageait déjà la naissance du vrai petit garçon comme un surgissement de la “vie”, et non comme la perfection d’une éducation morale et sociale semée d’embuches fantaisistes (rencontre des voleurs, de la fée bleue, du grillon moraliste…) La fable italienne de Garrone poursuit cette revitalisation humaniste du conte initiatique, mais va bien plus loin. L’horizon d’attente est d’entrée de jeu mis à l’épreuve. Gepetto n’est pas un constructeur de marionnettes mais un pauvre menuisier qui, en voyant passer un petit théâtre ambulant peuplé de pantins grandeur nature, découvre une autre version de l’humain et décide de se fabriquer un fils. La bûche magique ne s’anime pas nuitamment, provoquant la stupeur fantastique de son fabriquant. Dès que le bois est entaillé, le cœur du pantin se met à battre et restera pourtant l’obscur objet de sa quête.

Dans la ville où il s’échappe et s’encanaille, Pinocchio passe presque inaperçu. Il faut dire que toutes les marionnettes sont douées de la parole et que les visages sépia des habitants ressemblent à des masques boisés. L’Italie fabulée de Matteo Garrone a tout d’une société transhumaniste qui ne dit jamais son nom, où l’intelligence est innée mais où l’on reste aveugles à la loi imprévisible des cœurs. Pinocchio échappe alors à l’école, où il fait traditionnellement l’apprentissage de la logique et du mensonge (montrée comme chez Pommerat dans une caricature sophiste). Le vaste monde ne lui montrera aucune vérité. Le grillon sentencieux qui domestique sa conscience reste ici en retrait, apparaissant comme un vieux docteur de commedia dell’arte. Pinocchio fera l’apprentissage balbutiant et défigurant du mystère, de l’irrationnel, de la fantaisie. Dans un manoir de lenteur et de mort, il rencontre un escargot gigantesque et une fée bleue peu maternaliste. Son long nez menteur, grignoté par les oiseaux, ne repoussera plus jamais, comme s’il lui était permis désormais de se contredire sans porter la marque honteuse de la faute. Roberto Benigni porte le masque mélancolique et naïf de ce “Pinocchio” dénué de sentences, où la dualité poreuse entre l’homme et la machine est ramenée à son battement substantifique : cœurs de bois et bois de cœur.