© Pénélope Bagieu

Du roman de Roald Dahl paru en 1983 à l’adaptation filmique de Nicolas Roeg diffusée sept ans plus tard, « Sacrées sorcières » est probablement la fable enfantine qui nous laissa le plus de séquelles cauchemardesques. L’adaptation en bande dessinée qu’offre aujourd’hui l’autrice de célèbres mythes culottés actualise et burlesquise sa noirceur. Les trois cents pages se tournent à un rythme effréné, Pénélope Bagieu faisant la part belle à des passages purement illustratifs qui mobilisent l’imaginaire et privilégient la suggestion (comme celle du deuil au début de l’histoire). C’est principalement le personnage de la grand-mère qui profite d’une nouvelle jeunesse. Addict aux cigares et rêvant une vie éternelle, elle échappe à l’imagerie essentialiste du care et Pénélope Bagieu trouve avec elle une belle dérive représentative. La bande dessinée reste par ailleurs très illustrative, n’altérant jamais le génie de Roald Dahl mais échouant à retourner audacieusement  (en raison de contraintes adaptatives certainement) ses contours maléfiques. Si l’art s’apparente à la magie dans sa capacité à « manipuler les symboles » et « mettre en évidence le caractère arbitraire et contingent des représentations » selon Mona Chollet, on comprend mal en quoi le discours édifiant sur la reconnaissance de ces monstres déguisés en femme (que reconduit sans réel dissensus le texte de Bagieu) serait particulièrement progressiste. On se demande également pourquoi la cheffe immonde de la confrérie (qui souhaite exterminer tous les mistons du monde) serait une figure puissante et positive qui retournerait l’iconographie « hystérique » et « marginale » de la sorcière à son profit, comme le souhaite Mona Chollet en vantant cette “puissance invaincue des femmes”. Même si elle reste une voie d’accès savoureuse au conte mythique de Dahl, cette bande dessinée relève davantage de l’opération commerciale que de la contre-histoire engagée.