Rares sont les démarches documentaires novatrices : bien souvent, le sujet absorbe la dramaturgie, le spectacle est un compte-rendu de recherche vaguement théâtralisé : non pas qu’il soit privé d’intérêt, simplement il est subsidiaire au plateau dont il se réclame. S’il y a quelques années, le Théâtre des Doms a programmé l’excellent « Décris-Ravage » d’Adeline Rosenstein, attestant que le théâtre documentaire est un vivier pour les explorations d’avant-garde (idem pour le « Laboratoire Poison » qui l’a suivi), « Home », premier spectacle de Magrit Coulon, s’inscrit aussi avec brio dans le renouveau du genre grâce à une dramaturgie toute en duplicité, dont la radicalité n’a d’égal que la profondeur.
D’un côté, il y a les paroles des personnes âgées que la metteuse en scène franco-allemande a recueillies dans les Home, les EHPAD, les hospices — autant de termes qui évoquent l’isolement dont elles sont victimes… Et de l’autre, le dispositif scénique dans lesquelles elles se fondent : trois jeunes acteurs errent dans un intérieur tout de blanc qui, le temps passant, se macule et s’écroule en silence. Bien sûr, il rappelle ces hôpitaux sous couvert de lieux de vie, où les délaissés terminent leurs jours… Mais l’horloge qui y régit la vie ne s’écrase pas pour rien : ici, le temps est en boucle, le huis-clos est éternel. En fait, l’enfermement n’est pas seulement nommé, il transpire dans l’espace-temps : le dispositif devient la matrice du vieillissement, le plafond décrépit, les fondations faiblissent, une autre monde se dévoile, celui de l’après-vie… Quant aux acteurs, ils remuent les lèvres et reprennent des mimiques idoines, mais les mots leurs sont inconnus : déjà les paroles leurs sont étrangères, presque impalpables, elles ont filé devant eux.
En fait, « Home » est une pièce phénoménologique : les acteurs sont le socle de plusieurs personnages, le plateau est le socle de plusieurs hospices… Voilà un calice pour les mots et les événements : ils y meurent et naissent en même temps, tout y coule doucement, les phénomènes de vie et de mort suivent leur cours. Bien sûr, les personnages sur la scène, enveloppes pour tant d’autres corps, cherchent parfois à s’échapper de l’espace-temps qui les vieillit inexorablement : dès l’entrée public, l’un d’entre eux observe l’extérieur avec une envie nostalgique ; il finit par disparaître dans les les arbres… Pourtant, son voyage tourne court, ce moment tarkovskien était juste un « petit tour » : on n’échappe peut-être pas au destin qui attend. C’est ainsi que « Home », sur le fil de la beauté, incarne constamment son sujet plus qu’il ne l’illustre : sans succomber à l’esthétisation ou à la morale, il illumine le réel par par des biais symbolistes ; et dans ce tissu mêlé de paroles et de silences existentiels, réussit à émouvoir son spectateur avec une éclatante finesse.