Le volontarisme immersif de cet énième procès théâtral renfrogne au départ. Transformé en juré, le spectateur découvre à la même occasion la pièce “Terreur” de « l’auteur criminaliste » Ferdinand von Schirach, parue il y a quelques années chez L’Arche mais encore jamais montée en France. 

Pour éviter toute antipathie antimilitariste, la Compagnie Hercub choisit de féminiser le rôle du protagoniste, un pilote de chasse (Lars Kosch)  jugé en 2015 pour avoir éliminé les 164 passagers d’un avion de ligne, afin de prévenir un attentat visant des milliers de supporters. Laura Kosch (Céline Martin-Sisteron) est mise au centre d’une scénographie soucieuse de reproduire les proportions d’une salle d’audience. Le décalage entre la prétention performative de la représentation et ses ficelles interprétatives encore trop visibles (en ce jour d’avant-première) rendait l’ensemble un peu gauche. Il n’empêche que peu à peu, essentiellement grâce à la grande justesse de certain-e-s comédien-ne-s (Johanne Thibaut et Elise Guillou en particulier) et à la force indéniable du texte, le spectateur-juré se laisse prendre à ce jeu mille fois joué qui l’embarque dans un cas de conscience tout à fait inédit. 

C’est bien plus qu’une intime conviction qui est sollicitée au moment du vote (le spectateur est amené à se prononcer, grâce à un dé blanc, en faveur de l’acquittement ou de la condamnation de Laura Kosch). Si elle est jugée dans le cadre juridique, Kosch est indéniablement coupable. Se prononcer en faveur de son acquittement, c’est faire plus que saluer une héroïne. C’est admettre que le lieu même du tribunal, et a fortiori le théâtre dans lequel le spectateur est assis, est un espace inopérant. C’est reconnaître que le vote binaire et moral qui nous imposé n’est qu’un système vicié dans cette affaire-là. Le réalisme un peu désuet choisi par la compagnie Hercub porte alors ses fruits, car c’est en réimposant visuellement le theatrum juridique dans toutes ses conventions que le spectateur fait cette expérience des limites. Certain-e-s regrettent que le spectacle manque d’exhaustivité et de véracité historique. Là n’est pas son but. Seul compte le creusement des consciences qu’il réussit bel et bien à provoquer, plusieurs heures après la représentation. Nous n’en dirons pas plus sur le lien subtile que Ferdinand von Schirach tisse avec le contexte terroriste, sinon qu’il offre à ce spectacle appliqué mais efficace un vertige supplémentaire.