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Dans le “Didon et Enée” du Peeping Tom, récemment diffusé sur Arte, la fantaisie spectaculaire de la compagnie belge désengonçait audacieusement la convention opératique. Sans doute un peu trop d’ailleurs, tant la fable de Purcell et son épiphanie tragique s’en trouvaient assourdies. Il est toutefois intrigant que le surréalisme théâtral de Jeanne Candel, qui a toujours regardé vers la musique, donne lieu à l’inverse à un spectacle trop littéral pour affronter esthétiquement et politiquement le livret de Benjamin Britten.

Aux craquelures écarlates d’un théâtre en décomposition (les Bouffes du Nord) répond cette toile pénélopienne en pleine composition qui transforme les cintres et l’armature du cadre scénique en gigantesque métier à tisser. La belle scénographie de Lisa Navarro refile matériellement la métaphore déjà appuyée du livret, qui oppose l’héroïsme cruel et rectiligne des hommes à la « détresse » languissante et cyclique des femmes dont les mains sont condamnées à « plier le linge. » Si elle ne réduit pas outrancièrement le sens, cette allégorie scénographique échoue en tout cas à mettre la fable de Britten à l’épreuve. Elle prépare et semble valider, par son allusion aux figures des Parques, la signification de l’épilogue où le chœur invoque l’infortune et la brièveté de toute beauté (thématique dont la compagnie de Candel porte elle-même le nom), éclipsant par là même l’événement singulier et patriarcal qui constitue le point névralgique du drame. Il est dommage que cette facilité dramaturgique ternisse la promesse de ce spectacle si bien porté par les jeunes chanteur-se-s de l’Opéra de Paris (en tête desquel-le-s la mezzo Marie-André Bouchard-Lesieur, la seule à être présente sur le plateau hors des conventions gestuelles du genre), qui réussit pourtant à affronter habilement la scène épineuse du viol sans complaisance ni tabou.

« Est-ce tout ? C’est tout » finit par proclamer le chœur. Ce repliement crépusculaire de toute interrogation et de toute ouverture montre qu’il est sans doute inévitable et nécessaire en s’engouffrant aujourd’hui dans ce mythe opératique, et peut-être est-ce cela qu’a voulu accomplir Jeanne Candel, d’exhumer autant sa vibration contemporaine que sa profonde désuétude.