Peuple premier au Chili et en Argentine, les Mapuche combattent depuis des décennies pour une reconnaissance culturelle et politique. S’appuyant sur un fait-divers tragique, Paula Gonzalez Seguel porte sur scène leurs revendications avec puissance et poésie.
En 2016, une militante de trente-deux ans, Macarena Valdés, surnommée « La Negra », est tuée dans de troubles circonstances. En dépit d’une enquête concluant à la mise en scène d’un suicide, d’une mobilisation citoyenne relayée par le hashtag #AlaNegraLaMataron, aujourd’hui encore justice n’est pas rendue. Ce point de départ constitue la colonne vertébrale narrative de « Trewa ». Car malgré la fin de la dictature, malgré la commission de Vérité et Réconciliation de 1991, malgré le rapport Valech qui recueillit plus de 40 000 témoignages d’abus de l’ancien régime, les Mapuche sont les grands oubliés du travail mémoriel. La pièce s’assume dès lors comme pleinement documentaire, et lorsqu’une voix off délivre une litanie statistique, c’est d’abord comme la marque vertigineuse des persécutions subies par le peuple chilien et par les Mapuche en particulier.
Le plateau se divise en deux espaces qui résument le double enjeu de « Trewa » : à droite, l’intérieur, le décor ultraréaliste d’une maison en bois, le genius loci d’un peuple enraciné dans un territoire comme le confirme l’étymologie mapudungun du mot Mapuche (« gens de la terre ») ; à gauche, l’extérieur, un sol nu fait de neige et de vent, qui est tout autant les limbes et le domaine des esprits, où résonnent, derrière un écran translucide, les instruments traditionnels joués en live. Mais dans les deux cas, c’est bien le cœur d’un peuple que Paula Gonzalez Seguel met en scène. « Trewa » est la représentation d’un drame aussi intime que politique, aussi spectral que folklorique ; un écho aux desaparecidos de l’ère Pinochet qui hantent encore le Chili, aux « ombres infinies attendant justice », mais aussi aux larmes d’une famille endeuillée.
Femme, Mapuche et opposante politique, Macarena Valdés est une héroïne qui incarne l’intersectionnalité des luttes. Par sa mort, elle rappelle la collusion, trop souvent négligée, entre les régimes autoritaires et le libéralisme le plus cynique. Elle démontre cette double colonisation : de l’intérieur, par le gouvernement chilien lui-même, l’armée, les milices et tous les laquais qui servent un pouvoir corrompu ; mais aussi de l’extérieur par le néocolonialisme capitaliste, nécromant exploiteur aussi bien des peuples que de la nature. On pourra reprocher à « Trewa » sa trop grande démonstrativité, mais ce serait passer à côté de l’essentiel, car il y a là un vrai théâtre de l’urgence manifestant un double pouvoir performatif : celui de la volonté d’une prise de conscience, bien sûr, notamment du public occidental ; mais aussi une dimension exorciste, convoquant les esprits Mapuche pour guérir les blessures du monde. Car « Trewa » n’a rien du larmoyant plaidoyer éco-ethnico-politique. La troupe qui est sur scène est le porte-parole, au-delà de ses frontières, d’un peuple dont il offre la « voix de la blessure sans fin ».