La dernière fois qu’ils s’étaient vus, c’était peut-être en 2000 dans une création historique de Claude Régy (“Des couteaux dans les poules”), spectacle que les moins de trente ans rêvent d’avoir vécu. Les retrouvailles entre Yann Boudaud et Valérie Dréville, ce vendredi 19 mars 2021 à la Ménagerie de verre, avaient tout du miracle ordinaire.
Un thé brûlant à la main, on comprend peu à peu que le hall de la Ménagerie sera le théâtre immanent de cette rencontre. La silhouette endimanchée de Yann Boudaud patiente à une table de bistrot. Juché sur une plateforme, le mobilier tourne imperceptiblement pour donner à voir, tour à tour, le visage des deux protagonistes à l’assemblée qui se tient nonchalamment autour deux. La laisse du Jack Russel accrochée à une chaise (que lui surnomme « Jack Daniels »), elle s’assoit face à l’homme et lui « propose de réaliser ce rêve de théâtre impossible. » Un théâtre qui modifierait « légèrement les lois de l’action dramatique », une scène de « l’en-deçà » où toute la sur-chauffe émotionnelle de l’acteur serait congédiée. Un théâtre de la soustraction dont seuls quelques arbres et un homme qui marche seraient l’attraction spectaculaire.
La situation réflexive proposée par Yves Chaudouët, où les acteurs et leurs personnages se rejoignent nébuleusement, n’a rien d’une méta-scène nostalgique. Nul désir de retrouver un spectacle perdu (l’aventure de Régy en l’occurence), car cette théâtralité infra et extra-ordinaire, où les situations les plus banales cristallisent les plus belles énigmes, est bien celle qui se déroule sous nos yeux. Yves Chaudouët nous offre une occasion minuscule et hors-norme : ne pas partager un spectacle mais un pur moment de vie avec deux immenses comédien.ne.s. Échaffauder et effacer avec eux le mystère d’un théâtre et d’un amour futurs. Et en attendant, alors que « les théâtres sont fermés » (ce spectacle n’est pas une utopie), retrouver des présences qui nous font rêver, vibrant d’une vie plus grande que leurs paroles, d’un passé chaotique dont on s’empare comme une légende. Revoilà le théâtre lorsqu’il est petit et infiniment grand, vivant et symboliste.