Nous sommes en 1915 et Clémence de Pibrac, artiste de music-hall vieillissante, s’était retirée à la campagne, loin de la scène et de la vie parisienne. Elle rencontre par hasard Fernand, un soldat chargé de transmettre des ordres de missions entre les différents états-majors. Celui-ci est obsédé par le suicide de son beau-frère Abel. Ce chagrin pique la curiosité de l’actrice. Elle décide de mener son enquête pour éclaircir les mystères qui entourent cette mort si singulière à côté de toutes celles provoquées par la guerre. Elle rejoint alors la troupe du Théâtre aux Armées qui part en tournée près des lieux du drame.
C’est une épopée secrète au cœur de la Grande Guerre qui nous emmène le long du front de l’Est au Nord de la France ; des tranchées aux tréteaux de théâtres ; des greniers de ferme aux villas cossues Art-Nouveau de la côte d’Opale. Son héroïne est prise dans un tourbillon d’aventures : s’engouffrant dans les carrières souterraines d’Arras ou empruntant la voie des airs à bord d’un des premiers chasseurs allemands pour passer les lignes ennemies. Elle est prise à partie dans les conflits familiaux, les projets d’assassinats des services secrets et le vol d’une œuvre d’art. « Clémence » est tour à tour un roman de guerre, d’espionnage et policier. Mais c’est avant tout le récit d’une femme émancipée qui cherche au milieu du chaos un sens à son histoire. Ses talents d’actrice, elle les met au service de la reconstitution d’un puzzle pour soulager un cœur meurtri. Une bonne action qui semble désintéressée de prime abord, mais qui devient au fil des chapitres une urgence, nécessité vitale pour combler la crevasse laissée par le destin, quand l’artillerie, elle, se charge d’en recouvrir la terre. Hors d’haleine, sauver encore ce qui peut l’être.
Ce sens du rythme et de la péripétie, Luc Tartar le doit sans doute au fait qu’il écrit également pour le théâtre. Chaque rebondissement est une surprise. A peine un tour est-il terminé qu’il embarque déjà son héroïne tout comme le lecteur dans le prochain manège de la petite fête foraine littéraire qu’il déploie au fil des pages. Ce goût pour la précision se retrouve également dans la caractérisation minutieuse qu’il fait des personnages, principaux comme secondaires. En quelques tournures, il ouvre un champ d’imaginaire lumineux et l’on s’émerveille ici de la patronne d’un hôtel, là d’un lanceur de couteaux indien, comme du détail de certains santons provençaux. Mais ce qui fait le véritable charme de ce roman, c’est sa maîtrise impeccable de l’art de l’identification. L’auteur adopte le discours indirect libre dès qu’il embrasse le point de vue d’un personnage. Ainsi n’a-t-on jamais le sentiment de surplomber les personnes mais bel et bien de faire corps avec eux, de penser et ressentir avec. On n’apprend peu, à cette hauteur, il est vrai, des enjeux géostratégiques ou politiques du conflit, mais on perçoit mieux les craintes qui entravent ou les forces qui poussent à agir ceux qui sont pris dans la tourmente. Au-delà de la grande Histoire, cette quête de vérité traduit une vraie passion pour la nature humaine.