A l’affût d’une bonne journée

Car il s’agit avant tout de réenchanter le vivant, et l’épreuve d’une initiation archaïque reste une des voies d’accès efficaces pour sentir pulser à nouveau nos principes vitaux.

Dans le court texte “Un seul ours debout”, le philosophe Baptiste Morizot décrit sa rencontre avec ces majestueux mammifères près de Yellowstone et sa terreur d’être consommé (faussement universelle : d’autres cultures considèrent qu’être mangé ne constitue pas une transgression cosmique – comme dans le rite des funérailles célestes du Tibet, où la dépouille mortelle est mise à la disposition des vautours, don de soi du défunt à la terre qui l’a fait naître), et tente habilement de décentrer nos esprits pris en étau entre la croyance qu’il faut vaincre la nature pour la civiliser et le rêve naïf d’une nature sans hostilité.

Comme le reprend la performeuse suisse Pamina de Coulon dans sa dernière création « Fire of Emotions: Palm Park Ruins », il faut simplement se faire à l’idée que « non, ces ours n’étaient pas des rivaux glorieux. C’étaient des flâneurs surpuissants à l’affût, comme chaque vivant, d’une bonne journée ».

Voilà certainement une option éclairante pour envisager avec la tension nécessaire cette 5e saison du journal et notre plaisir de suivre la piste de cette 48e édition du Festival d’automne, tout comme celle des créations de tous ordres entre lacs et montagnes en Helvétie.

Espérant sans oser le dire – à l’instar de Timothy Treadwell, héros malgré lui du documentaire « Grizzly Man », de Werner Herzog – se faire dévorer par un spectacle, ressentir la peur au ventre cette objectivation parfois nécessaire (que sommes-nous, pauvres humains, face aux mâchoires d’un ours ? Face à l’intelligence de certains spectacles ? Face aux secousses sismiques d’émotions provoquées par certains corps en scène ?), abandonner le temps d’une représentation les codes et les frontières de notre être social pour se connecter à un instinct premier que les arts de la scène savent encore, parfois, faire advenir.

Comme Abraham Poincheval avant nous, nous voilà réfugiés volontaires dans la panse d’un ours, guetteurs de ce qui frémit, veilleurs de ce qui surgit.