“Redonner de la légitimité aux auteurs” : entretien avec Frédéric Vossier

© Julien Kraemer

© Julien Kraemer

D’abord philosophe, Frédéric Vossier est aujourd’hui un auteur dramatique reconnu. Désormais collaborateur artistique au Théâtre National de Strasbourg, en charge des missions concernant les écritures contemporaines, il était invité à La Mousson d’été 2016. Rencontre.

“Il y dans le théâtre public en France une frilosité envers les écritures contemporaines, qui est assez constitutive.” Cette impression, elle semble ancrée chez Frédéric Vossier, et c’est certainement la raison qui fait qu’il a dédié toute sa vie d’adulte à l’écriture dramatique. Avant de rejoindre de la nouvelle équipe constituée par Stanislas Nordey au Théâtre National de Strasbourg, il a d’abord, entre ses publications, enseigné, et a toujours cherché à sensibiliser son auditoire à ce que sont les écritures dramatiques contemporaines. “Avant d’arriver dans une grande institution comme le TNS, j’enseignais dans les CEPIT [Cycle d’Enseignement Professionnel Initial au Théâtre], et j’essayais d’inculquer un bagage aux jeunes élèves, pour qu’ils soient conscients de ce qu’était l’écriture dramatique, ses évolutions et ses potentialités. Mais ce dont je me rendais compte, c’était qu’une fois que ces élèves arrivaient dans les écoles supérieures, ce bagage était vite oublié, puisque ce n’était pas sur lui qu’était basé l’enseignement.”

Cette frilosité, selon Frédéric Vossier, aurait plusieurs origines. L’absence d’auteurs réellement transformateurs au cours du XIXe siècle, peut-être — quand, à l’étranger, écrivaient des Strindberg, des Tchekhov ou des Maeterlinck —, qui n’ont jamais vraiment poussé la scène à se mettre au défi, et qui ferait que, encore aujourd’hui, les écritures nouvelles ne seraient pas une évidence pour les metteurs en scène et les producteurs. “Même au cours de ce que j’appellerais un « âge d’or » — l’époque des Attoun, par exemple — il était encore difficile d’imposer des auteurs contemporains sur les scènes publiques. Chéreau a su le faire pour Koltès, avec la force qui était la sienne, mais les exemples sont rares. Et aujourd’hui, on considère même le texte dramatique comme quelque chose de désuet, de dépassé. C’est assez ancré.” Conséquence, aussi, d’une certaine autonomisation de la scène, probablement due à des metteurs à scène qui se dégagent de plus en plus du texte. “Les metteurs en scène pensent aujourd’hui qu’ils ont plus d’imagination que les auteurs. C’est peut-être la conséquence de l’avènement du post-dramatique, du théâtre non textuel, ou d’une fracture technologique que les auteurs ne savent pas toujours incorporer. En tout cas, le texte pré-écrit ne semble plus être le véhicule déterminant, percutant, pour parler du monde d’aujourd’hui. On vit l’époque des « écrivains de plateau ». Mais les auteurs sont là, même s’ils sont toujours coincés dans un entre-deux et restent toujours dans l’ombre. On ne parle pas d’eux, ou très peu. Même dans la presse, quand il s’agit de spectacles basés sur un texte, on parle avant tout des metteurs en scène. J’ai le sentiment que les auteurs n’ont plus vraiment d’espace d’apparition.”

Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, à Strasbourg, Frédéric Vossier s’efforce de faire en sorte que les auteurs d’aujourd’hui soient entendus. Dans l’enseignement, déjà, où les élèves de tous les départements de l’école du TNS participent à des ateliers autour de l’écriture dramatique. Puis dans les missions de service public du théâtre, aussi, pour que résonnent au maximum les voix. “J’anime des ateliers de lecture et d’écriture avec des animateurs socio-culturels, par exemple”, probablement afin de combattre la perception que le théâtre, aujourd’hui, ce n’est que les auteurs statufiés, et pour faire savoir qu’une parole nouvelle existe aussi. “Toutes les lignes de travail au sein de l’école sont dynamisées par l’écriture contemporaine, c’est pour ça que j’ai été embauché.”

C’est donc dans cette continuité qu’est née la revue Parages, dédiée à l’écriture dramatique, dont le premier numéro vient de paraître avec le soutien des éditions Les Solitaires Intempestifs. “Ça semblait naturel au vu de l’ensemble du projet.” Et de l’extérieur, cela ressemble à un aboutissement, celui d’une mission et d’un investissement qui dure depuis longtemps. “Nous voulions créer au TNS un espace ou les auteurs pourraient s’exprimer comme ils le veulent, c’est important, tant pour moi que pour Stanislas. C’est un travail d’accueil, d’hébergement. Il faut redonner de la légitimité aux auteurs.”