Maud Blandel : “Quand est-ce qu’on arrive ?”

De tout temps l’enjeu des hommes aura été de relier des points : le ciel et la terre, le visible et l’invisible, la mort et le vivant. Cette activité, qu’elle soit spirituelle, philosophique, économique ou esthétique, fonde la base même de tout récit – et ainsi de toute croyance. Une telle pratique impliquera alors qu’on connaisse les pôles à relier : pour tracer la ligne qui joindra les deux bouts, il aura fallu déterminer au préalable d’où nous partons et où nous allons.

La question « Quand est-ce qu’on arrive ? » arrive justement après qu’on a enregistré de telles coordonnées. Il n’est alors plus question d’espaces figurés mais de temps éprouvé. Ainsi, l’enfant attaché sur la banquette arrière ou le navigateur du Vendée Globe (pour qui la ligne d’arrivée est pourtant la même que le point de départ), lorsqu’ils posent la question, traduisent ce qui pourrait définir l’essence même d’une impatience : un temps flottant, dont les signes – ou le manque de signes – ne suffisent plus à estimer la durée qui nous sépare de notre destination.

Il n’y a jamais eu autant qu’aujourd’hui une telle nécessité de re-questionner le temps. Et c’est précisément ce que peut l’art vivant de par sa spécificité : celle du temps partagé de la représentation. Jamais nous n’avons eu la sensation d’être tant sollicités, jamais la frustration d’éteindre nos téléphones portables le temps d’un spectacle ne s’est à ce point manifestée, jamais la stimulation de l’industrie pop n’a fait preuve d’une si redoutable efficacité.

C’est avec cet ensemble de paramètres que l’artiste se doit, à mon sens – et plus que jamais –, de composer. Une vigilance accrue donc, vis-à-vis des outils et de l’usage des temporalités. Ce qu’omet l’ellipse en littérature, ce que souligne la répétition d’un motif chorégraphique ou encore ce que décompose le ralenti d’une image cinématographique ne relèvent pas seulement d’un procédé formel. C’est le choix politique d’un artiste, conscient de sa responsabilité, de ce qu’il donne – ou non – à voir, et du temps nécessaire pour une telle traversée.