Yan Allegret : « À qui le tour ? »

À qui le tour ? Je serais tenté de répondre : à l’imbécile qui attend le sien.

Heureusement, il n’y a pas d’attente et il n’y a pas de tour.

Attendre son tour. Faire des efforts. Tenir le coup. Tout ça.

Christian Bobin, dont je joue les textes, parle d’un endroit autre : « Un jour, tu t’allonges, tu t’assieds ou tu marches, et tout vient sans peine à ta rencontre. Tout ce qui vient porte la marque de l’amour. »

Renversement complet de note culture de l’effort et de la volonté. Aberration du matérialisme, de la logique, du capitalisme. Aberration complète.

On doit mettre à jour quelque chose.

Cela renvoie au plateau. Au mystère de la présence, de la parole. Quelque chose vient.

Avignon. Il y a beaucoup de promesses dans cette ville. Beaucoup de désirs. Beaucoup d’illusions.
Je regarde tout cela avec les yeux d’un nouveau-né.

À qui le tour ? À celui qui a toujours refusé de mettre les pieds au festival d’Avignon, partagé entre le dégoût du trop-plein et la peur de se dissoudre dans ce grand barnum.

Et puis on rencontre une équipe, un espace de vieilles pierres, des conditions de travail correctes, on ne force pas, on dit : « Si ça vous intéresse, je le ferai ici. Et si ça ne vous intéresse pas, j’ai un stage d’Aïkido en juillet. » Et on le fait. On s’apprête à le faire.

Cette brèche possible au plateau. Résonances immédiates avec d’autres mondes.

Maître Awa, le plus grand maître de kyudo (tir à l’arc) du xxe siècle, s’incline un jour devant son élève Eugen Herrigel qui vient de tirer une flèche, et lui dit simplement : « Ça a tiré. »
Herrigel ne comprend rien.

Ça a tiré. À force de transparence, un jour, quelque chose passe à travers toi. Et cela tire.

Christian Bobin, encore, pour finir :

« Il faut tout revoir. C’est pas très compliqué. Il faut tout revoir. Ce qui est compliqué, c’est quand il faut toucher une chose, et puis laisser l’autre chose à côté. Mais aujourd’hui c’est bien, parce que le chaos est tellement grand, qu’il faut tout revoir. Donc c’est pas si compliqué. »