Une exposition d’art totale

Ragnar Kjartansson

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(c) Aurélien Mole

(c) Aurélien Mole

L’exposition que propose l’artiste islandais Ragnar Kjartansson au Palais de Tokyo est particulièrement réjouissante, pour plusieurs raisons. Si, prise séparément, chacune des œuvres qu’il montre est en elle-même très réussie, c’est la combinatoire de ces œuvres qui donne ici un grand plaisir, et c’est en cela que cette exposition, qui a pour commissaire Julien Fronsacq, est d’une immense qualité.

Avec une série de grands cartons peints, l’artiste rejoue tout d’abord la tradition du décor théâtral dans l’installation « Seul celui qui connaît le désir », une œuvre que l’on peut voir comme l’un des volets d’un diptyque qu’elle formerait avec la performance « Bonjour », qui place deux comédiens dans un véritable décor, pour une brève pièce de théâtre qui va se rejouer durant toute la durée d’ouverture de l’exposition. Dans cette courte boucle de quelques minutes, l’on voit une femme et un homme évoluer, chacun chez soi, et connaître une brève rencontre, ou plutôt une brève non-rencontre, dans la cour qui sépare leur maison, au bord d’une fontaine.

Avec cette proposition – qui fait l’objet d’une coproduction avec le Festival d’automne à Paris –, Ragnar Kjartansson offre au visiteur du musée une expérience littéralement théâtrale, à laquelle il ajoute le principe sériel cher à l’art du xxe siècle.

Enjambant les disciplines artistiques, le plasticien s’exprime aussi par la vidéo, comme le montre notamment l’installation « Scenes From Western Culture », qui propose un ensemble de courts-métrages aux cadres très travaillés. Certaines de ces vidéos peuvent apparaître comme de grands tableaux photographiques animés, là où d’autres travaillent des séquences purement cinématographiques.

Dans une autre salle, Kjartansson présente une installation sur quatre écrans installés comme des points cardinaux, où l’on voit le making-of d’une adaptation du roman épique en quatre tomes du prix Nobel Halldór Laxness, saga totem de la culture islandaise du xxe siècle. Dans ce roman, Laxness se penche sur les tourments d’un instituteur pauvre, poète et rêveur, à qui l’on ôte tout excepté le sens de la beauté et la splendeur céleste. Lorsqu’on parcourt les espaces arides du Palais de Tokyo, il semble évident que Ragnar Kjartansson se pose en héritier de ce personnage, le sens de l’humour en plus. Si on en doutait, il suffirait de regarder la série des quatre vidéos de « Me and My Mother », tournées entre 2000 et 2015, dans lesquelles la mère de l’artiste crache au visage de sa progéniture.

L’attraction et le rejet sont en effet clairement les fils narratifs tendus entre toutes les œuvres présentées à Paris, dont la performance « Bonjour » serait paradigmatique. Ainsi, la représentation théâtrale serait, pour le plasticien, la forme la plus adéquate pour signifier sa vision du monde. Cela se confirmera lorsque, en sortant de l’exposition, le visiteur pourra ainsi déambuler entre les faux sommets enneigés peints sur carton, et devenir un personnage de Ragnar Kjartansson.