La Librairie de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, spécialisée dans les arts de la scène, est un lieu incontournable pour les festivaliers. Ouverte sept jours sur sept pendant les Rencontres d’été, elle est aussi un point de diffusion de I/O Gazette. Rencontre avec Gérard Escriva, libraire passionné.
Figure bien connue des artistes en résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, ce jeune quinquagénaire a l’allure d’un éternel étudiant. Mais son regard s’illumine comme celui d’un enfant, lorsque vous évoquez avec lui les deux spectacles qui l’ont enthousiasmé cette année: « Des arbres à abattre » de Krystian Lupa et « Antoine et Cléopâtre » de Tiago Rodrigues.
Gérard Escriva est libraire à la Chartreuse depuis 16 ans: « Je suis arrivé ici par chance. Par une chance extraordinaire. Bien sûr, j’étais un peu prédestiné à ce métier. Tout jeune, je fréquentais assidument les bibliothèques, les librairies et j’étais déjà un grand lecteur. » Après avoir suivi des études d’archéologie et d’histoire de l’art à l’université de Montpellier, Gérard va tout d’abord travailler dans deux librairies importantes d’Avignon, « La Mémoire du Monde » et « Les Genêts d’or ». « Lorsque j’ai postulé à la Librairie de la Chartreuse en 1999, ma double formation d’historien de l’art et de spécialiste du patrimoine – j’ai même été un temps guide à Avignon ! – a favorisé les choses ».
A l’origine centre culturel international de rencontre pluridisciplinaire (le C.I.R.C.A.), la Chartreuse se transforme, au début des années 90, en Centre National des Écritures du Spectacle (le C.N.E.S.). La librairie, située dans l’ancienne cellule du prieur, se spécialise alors dans les formes contemporaines du spectacle. « On ne trouvera ni Molière ni Marivaux ici. Sauf si un artiste invité venait à proposer un travail sur ces auteurs ».
Les ouvrages des artistes présents à la Chartreuse sont bien sûr mis en valeur. Mais on trouve beaucoup d’autres livres dans la deuxième salle de la librairie: des pièces du répertoire le plus contemporain, des études universitaires très pointues… « Des auteurs comme Koltès ou Lagarce se vendent beaucoup parce qu’ils sont devenus des classiques étudiés au lycée et figurent dans les programmes des concours. Cependant, je tiens à mon rôle de passeur. Ce qui me passionne, c’est de promouvoir un théâtre contemporain plus méconnu, de jeunes auteurs comme Dorothée Zumstein ou Philippe Malone, publiés par des éditeurs audacieux ». La librairie n’est pas soumise au diktat de l’actualité littéraire: les livres peuvent avoir ici le temps d’exister, sans être retournés immédiatement à l’éditeur. D’ailleurs, Gérard en conserve toujours au moins un exemplaire pour alimenter le fonds de la bibliothèque de la Chartreuse.
L’autre particularité de la librairie, c’est qu’elle fait coexister avec ces ouvrages dédiés aux arts du spectacle tout un fonds patrimonial centré sur l’époque médiévale, l’histoire des arts ou l’art des jardins : guides touristiques, livres sur l’histoire de la Chartreuse, ouvrages iconographiques de vulgarisation telle la collection « Le Guide des Arts » chez Hazan, essais d’esthètes comme ceux de Daniel Arasse… Tout est toujours soigneusement choisi dans la librairie de Gérard. « La librairie est exactement à l’image de la Chartreuse: le comptoir de vente d’un monument historique mais aussi un lieu consacré au spectacle vivant». Elle accueille tout aussi bien des touristes occasionnels qui tiennent à conserver un souvenir de leur visite que des habitués, des résidents de la Chartreuse, des professeurs et élèves du Conservatoire, des amoureux de théâtre.
Pur Avignonnais, Gérard n’a manqué aucun festival. Certains spectacles l’ont marqué à vie : le « Hamlet » de Chéreau, « La Célestine » mise en scène par Antoine Vitez, « ainsi que tous les spectacles de Romeo Castellucci, que j’ai aimé et suivi depuis ses débuts à Avignon. Je n’oublierai jamais l’impression que m’a faite sa Tragedia Endogonidia ». Gérard garde aussi un souvenir ému de la pièce « Les Soeurs Macaluso » d’Emma Dante, présentée au Gymnase du Lycée Mistral l’an passé.
Mais on ne peut plus faire parler Gérard. Il est 17h10 et les spectateurs de « Forbidden di sporgersi » de Pierre Meunier et Marguerite Bordat commencent à arriver. Gérard a mis un terme à l’entretien. Sa librairie l’appelle…