Swedstage : showcase des scènes suédoises

Swedstage

Quatre degrés, pluie fine et nuages bas : au lieu de se laisser envahir par la mélancolie de la Scandinavie automnale, la biennale Swedstage propose un programme de réjouissances scéniques pour programmateurs internationaux.

Le Swedstage n’est pas un festival à proprement parler mais un show case local, une concentration sur deux jours et demi d’une sélection de productions récentes, avec un fort focus sur le jeune public. Cette année, la soixantaine d’invités venant de 33 pays a pu découvrir douze propositions scéniques, ainsi qu’une dizaine d’autres présentées lors d’une séance de pitch par des compagnies suédoises.

Parmi elles, l’adaptation de la série/film de Bergman « Scenes From a Marriage », d’Eva Dahlman, qui repose sur un dispositif quadrifrontal et une immersion partielle des comédiens au sein du public renforçant l’intimité du projet. Johan et Marianne sont interprétés par trois couples d’âges et de sexes différents (dont un couple de femmes). Leurs échanges se succèdent puis s’entremêlent, gardant intactes l’acidité et la drôlerie antiromantiques du réalisateur suédois. Cerise sur le gâteau, la présence de Dag Malmberg, l’un des acteurs magnétiques de la percutante série télé « Bron ».

La troupe Cirkus Cirkör fait partie depuis près de vingt ans du répertoire circassien incontournable de la Suède. Avec sa nouvelle production « Limits », elle aborde la question des frontières réelles ou imaginaires, avec une portée particulièrement politique en ces temps de migrations en souffrance. Une performance ultraphysique, rythmée et poétique qui pâtit toutefois par moments de l’insertion de messages informatifs sur les réfugiés trop démonstratifs et premier degré. Reste l’envoûtante prestation des six performeurs, que l’on retrouvera en tournée notamment à Caen aux Boréales le 19 novembre.

Direction l’une des salles de répétition du théâtre national Dramaten, sorte de croisement entre la Comédie-Française pour sa troupe permanente et la Colline pour son traitement du répertoire contemporain. « Wild Minds », de Marcus Lindeen, est basé sur des témoignages de daydreaming, état qui au-delà de ce qu’il évoque de rêverie romantique est aujourd’hui diagnostiqué comme une pathologie. Le principal intérêt de ce projet original est le dispositif : cercle de parole en petit nombre dans lequel les comédiens sont assimilés aux spectateurs, et surtout utilisation de la technique du « headphone verbatim » : les comédiens ne connaissent pas leurs répliques, qu’ils découvrent par oreillette et doivent reformuler à haute voix. Ce procédé permet, ici de façon assez convaincante, de simuler l’authenticité des témoignages réels sur lesquels s’appuie le texte, stimulant une réflexion sur la nature de la création fictionnelle.

Riksteatern (DR)

Riksteatern (DR)

Le Swedstage est aussi l’occasion de découvrir le Riksteatern, scène nationale itinérante tout à fait unique en son genre, qui pallie la difficulté de la plupart des créations suédoises à tourner dans le pays, notamment en raison de ses particularités géographiques. Le lieu, situé au sud-est de Stockholm, n’accueille aucune représentation : c’est une sorte de hangar gigantesque comprenant ateliers de création et six scènes adaptés au chargement direct des décors dans les camions qui sillonneront le pays pour 50 ou 60 dates par spectacle… C’est ainsi que nous avons pu découvrir « People Respect Me Now », de Paula Stenström Öhman, projet documentaire sur la violence à l’école, ou « Trans[e]ición », du collectif SOMOS, quatre danseurs exceptionnels vibrant en chorégraphies individuelles et collectives (inégales mais puissantes) hip-hop et urbaines sur des grooves de trance afrocubaine.

Enfin, « Falling Out of Time » de la vétéran du théâtre suédois Suzanne Osten, parle du thème difficile de la perte d’un enfant. Sur un plateau couvert d’un épais sable noir, voici neuf parents, âmes en peine, déambulant dans un purgatoire dans lequel « la mort n’est pas morte ». La metteuse en scène, connue également pour son travail cinématographique (dont « Le Garde du corps » en 1990), adapte ici le roman de l’Israélien David Grossman publié en 2014. Tour à tour membres d’un cercle de parole, chanteurs d’un sombre cabaret de l’entre-monde, les hommes et femmes se bousculent, se soutiennent, s’interrogent afin d’exorciser la douleur. Une étrange coryphée et son acolyte scribe ponctuent les dialogues, comme les témoins nécessaires de cette souffrance qui pour être dépassée doit être mise en mots, et les mots en récits dont nous sommes les destinataires. La musique d’Anders Niska, dissonances mélancoliques interprétées en live sur un vieux piano fragile, pose l’ambiance. Après une longue installation un peu répétitive, la seconde partie est d’une intensité remarquable dans sa déclinaison de la syntaxe du deuil par le corps et la parole : gesticulations, lamentations, questions posées dans le vide, mais surtout fragiles tentatives de tracer la route de l’après. Comment continuer à vivre après ce point de rupture ? Dans l’une des plus émouvantes séquences finales qu’il nous ait été donné de voir au théâtre depuis longtemps, une porte du fond de scène s’ouvre sur la rue, vers l’air et la lumière : un tapis se déroule, et nous sommes conviés, sans applaudissements, à sortir de la salle, dans un silence propice à l’éclosion d’un nouvel espoir. La Chute s’arrête et nous voilà revenus dans le Temps.

Swedstage, du 23 au 26 octobre 2016 à Stochholm