Deux garçons fument du paco. Le plus jeune a seulement 12 ans. Pelourinho, centre historique de Salvador de Bahia, mars 2010. © Valerio Bispuri

Deux garçons fument du paco. Le plus jeune a seulement 12 ans.
Pelourinho, centre historique de Salvador de Bahia, mars 2010.
© Valerio Bispuri

« Je fais l’Afghanistan et toi ? Le Kurdistan ? Mais c’est où ? » Le Kurdistan, c’est au rez-de-chaussée. Le visiteur qui déambule dans le Couvent des Minimes téléphone à la main l’exprime à sa manière : le Festival Visa pour l’Image, où se pressent grand public et professionnels de la photo, transporte son visiteur en le plaçant au cœur de l’actualité.

Au rez-de-chaussée donc, on découvre le Kurdistan à travers les clichés de Yuri Kozyrev. Cette région, au Nord de l’Irak, s’érige depuis 2003 en véritable Etat, havre de paix et de prospérité étonnant, aujourd’hui menacé par la progression des troupes de Daesh. Des jardins verdoyants, des villes modernes et la guerre, malgré tout, qui point dans ces clichés de peshmergas, femmes en armes, hommes de retour de permission, derniers bastions d’une indépendance en devenir.

Également passionnant le reportage de Valerio Bispuri sur le Paco, drogue aux effets cinquante fois supérieurs à ceux de la cocaïne. Ses clichés, fruits d’un travail de 13 ans, présentent l’ensemble du circuit mortifère, de la production – en mélangeant coca et substances toxiques, kérosène, résidus de verre, mort-aux-rats – le trafic, jusqu’à la consommation, l’addiction, la mort. Bispuri immortalise les victimes du Paco dans les bidonvilles d’Argentine, du Pérou ou du Brésil. Il fauche les jeunes, les très jeunes même, à l’instar d’Inès, 17 ans, que l’on découvre nue, prête à se piquer. Elle se prostitue depuis l’âge de 11 ans pour payer ses doses quotidiennes. Depuis qu’elle s’est fait couper le bras par une consœur jalouse, on l’appelle la « pute amputée ». Les images font mal aux yeux, mal à l’âme.

Les clichés de Yannis Behrakis et d’Aris Messinis, récompensé du prix Visa d’Or News le 3 septembre dernier, accentuent ce sentiment de malaise. Regards désespérés, enfants portés à bout de bras et de force, leurs clichés impriment tout le désespoir des populations qui fuient leur pays, la guerre, la misère, la destruction. Après des mois de ce qui apparaît comme la plus grande crise migratoire du 21e siècle, ces clichés réveillent les esprits endormis, les consciences. Ils font pleurer aussi. Yannis Behrakis cadre au plus près ces visages qui nous renvoient à notre inaction coupable, individuelle et collective. Aris Messinis immortalise quant à lui, dans une nature morte saisissante, l’amoncellement des gilets de sauvetage, laissés derrière eux à Lesbos par ceux qui ont réussi la traversée. Les centaines de gilets rouges contrastent avec un ciel nuageux, trop bas, l’horizon comme écrasé.

Un instant, on se demande ce qu’on est venu faire dans cette galère, forcé de regarder le monde en face dans tout ce qu’il a aussi de plus désespérant. On comprendra mieux encore les applaudissements nourris, exutoires et cathartiques, qui accompagnent la remise à Niels Ackermann du prix de la ville de Perpignan Rémi Ochlik, le 2 septembre, lors des projections du soir au Campo Santo. Ce prix récompense son très beau reportage sur la ville de Slavoutytch, en Ukraine, née de la catastrophe de Tchernobyl. Pendant trois ans, le photographe a suivi Iulia et ses amis, capturant avec beaucoup de subtilité leur passage à l’âge adulte. Un reportage sur l’amour, sur la vie qui continue.

Après les projections, les discussions se poursuivent jusque tard dans la nuit au Grand Café de la Poste. La place, face au Castillet, est noire de monde, journalistes et photographes reconnaissables à leur pass rouge autour du cou. On y trinque à Niels Ackermann, aux photoreporters et à Rémi Ochlik qui y laissa la vie. Parce qu’il en faut bien, des femmes et des hommes qui croient encore à la force de l’image, au pouvoir du mot et à la valeur du témoignage, prêts à se coltiner la misère du monde et à risquer leur peau. À nous d’accepter de regarder leurs images en face et ne jamais dire qu’on ne savait pas.