Berlin : festivals au cœur de l’été

Michael Clarke (c) Anja Beutler

Le mois d’août confère aux grandes villes un certain sens du vide, de la léthargie et de la lenteur. Par contraste, les événements qui s’y déroulent prennent des allures de surgissement éphémère, loin du fourmillement qui sature la vie culturelle berlinoise le reste de l’année. I/O Gazette a exploré quelques-unes des activités estivales.

Avec 29 années d’existence, Tanz im August fait figure de doyen. Véritable institution de la danse contemporaine, le festival peut se targuer d’une programmation à la pointe. Au programme cette année, au Berliner Festspiele, le chorégraphe écossais Michael Clarke présente « to a simple, rock’n’roll… song ». Commissionné par le Barbican, c’est une trilogie de pièces courtes (une vingtaine de minutes chacune) inspirées respectivement par les univers musicaux d’Erik Satie, Patti Smith et David Bowie. Un choix dicté par des goûts de toujours, ainsi peut-être qu’une synchronicité anniversaire en 2016 : 150 ans de la naissance du premier, 70 ans de la seconde, et année de décès du troisième… L’ex-enfant terrible des années post-punk ne cherche plus la provocation ni la radicalité. Les influences de Merce Cunningham ou d’Yvonne Rainer ont été digérées depuis longtemps. Si « to a simple… » est sans surprise, il est d’une efficacité redoutable et d’une maîtrise technique totale. Il trouve un point d’équilibre entre formalisme exigeant, rigidité et néoclassicisme des formes, tout en investissant un terrain pop et exubérant.

Le lendemain, rendez-vous au Hebbel am Ufer (HAU, fusion de trois théâtres de Kreuzberg). Cristiana Morganti y rejoue son solo « Jessica and me », créé en Italie en 2014, et qu’on a eu l’occasion de voir cette saison à Paris aux Bouffes du Nord. Après vingt ans passés au sein du Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch, la danseuse fait le point : entre bilan de santé et autorèglement de compte, cette performance mi-parlée mi-dansée est d’une élégance rare. Son double imaginaire (alter ego inventé dans l’enfance) lui sert d’intervieweuse via un vieux magnétophone à cassettes : elle met les pieds dans le plat et lui permet de retracer sa carrière de danseuse en abordant très concrètement les enjeux physiques et artistiques d’une carrière de danseuse contemporaine. Drôle et lumineux.

Rudi van der Merwe (c) Beatrix Gyenes

Dans une ferme à l’ouest de Berlin, Rudi van der Merwe reprend « Trophée », créé en 2014 au festival Antigel à Genève. Cette œuvre « in situ » nécessite un terrain d’au moins 300 mètres, c’est dire si les occasions de la tourner se font rares. Morceau conceptuel sur la guerre, « Trophée » illustre grâce à un jeu sur la profondeur de champ (ici dans le sens littéral du terme !) les différentes étapes de l’envahissement, du franchissement des frontières – palissade bientôt transformée en croix d’un cimetière –, à la parade d’après-conquête, puis au lent retrait vers la ligne d’horizon. Les trois danseurs (dont Rudi lui-même), en parure à l’esthétique à mi-chemin entre Christian Lacroix et Miyazaki, déambulent sur l’herbe en une procession synchronisée, au rythme presque militaire, au son d’une musique planante jouée en live. C’est beau et déroutant, même si on s’interroge sur sa portée au regard du thème abordé plus ou moins explicitement. Une proposition qui prend en tout cas une mesure nouvelle lorsqu’on nous annonce que, ce même jour, a lieu dans Berlin un défilé néonazi en mémoire de Rudolf Hesse…

Côté musique, la capitale allemande n’est pas en reste. La Kulturbrauerei accueille chaque année le festival Pop-Kultur, un jalon de plus en plus incontournable de la scène pop indé allemande et internationale. Au programme pour cette 3e édition, trois jours de concerts autour d’une centaine d’artistes avec, pour la première fois, une forte proportion d’œuvres commissionnées. Mais on y trouve aussi des lectures, des projections et des forums de discussion avec un objectif de networking musical, notamment pour les « jeunes talents », autour d’un dispositif spécifique. Côté français, on a pu revoir Acid Arab, La Femme ou encore Fisbach. Comme tous les artistes, ils ont eu la surprise de voir, sur le programme et les affiches, des chats en guise de photos…

Ce qui frappe surtout avec Pop-Kultur, c’est l’énergie du lieu : la Kulturbrauerei est une ancienne brasserie transformée en lieu culturel, devenu repaire des hipsters de Prenzlauer Berg. Entre les bâtiments industriels, des food trucks alternent avec des installations d’art contemporain. Ainsi la « Big Black Box » du groupe de psyché folk américain Circuit des Yeux propose au visiteur de rester dix minutes enfermé dans une cabine sombre (« have dinner, recite a poem, sit in silence, take of your clothes, only to put them back on ; anything is welcome »), avec à disposition un micro dont le son est diffusé dans des haut-parleurs. Entre deux concerts, si l’on veut une nourriture plus consistante que des currywurst sur le pouce, on pourra écumer le quartier qui regorge de bonnes adresses, y compris d’excellents restaurants végétariens comme le « Lia’s Kitchen » ou le vietnamien « Rou ».

Tanz im August, du 11 août au 2 septembre 2017
Pop-Kultur, du 23 au 25 août 2017