En plein cœur de la Roumanie, en Transylvanie, Sibiu est devenue depuis le milieu des années 90 l’un des rendez-vous incontournables des fans de théâtre du monde entier. Ville moyenne de la taille de Dijon, elle accueille chaque année l’un des plus grands festivals de spectacle vivant : le FITS. I/O Gazette était sur place.

Il ne faut pas se promener longtemps dans le centre de Sibiu pour se rendre compte que toute la ville vibre au rythme du festival : si les affiches n’ont pas envahi les murs comme à Avignon, et dans une moindre mesure à Édimbourg, c’est bien dehors que se déroule largement le festival avec parades, food trucks… : le FITS est d’abord une grande fête populaire. Pendant dix jours, c’est plus de 600 000 spectateurs qui écument les ruelles du centre historique et des alentours. Au cœur de cette géographie, la Strada Nicolae Balicescu est un peu la rue de la République locale, artère incontournable de l’itinéraire festivalier. Son point d’orgue : la Piata Mare et l’adjacente Piata Mica qui accueillent des spectacles de rue tout au long de la journée, dont « L’Envers » du Suisse-Allemand Julien Brun et l’étonnant « Magnetic » des Ateliers Nomad de Bucarest.

Un magazine quotidien (plus anciens lecteurs de I/O, cela vous rappellera les souvenirs de notre premier festival d’Avignon !), « Aplauze », propose des critiques des spectacles et des infos sur le festival – en roumain seulement. Mais hormis le public local, l’accent est mis sur la dimension internationale de l’initiative, avec, parmi les quelque 3 000 artistes et professionnels, pas moins de 72 nationalités. Une volonté de s’afficher comme une grand-messe aussi incontournable qu’Edimbourg ou Avignon ? Le FITS en est encore loin, même s’il affiche 500 événements dans plus de 70 lieux, mais son directeur et fondateur, le suractif Constantin Chiriac, grand manitou des scènes roumaines, ne ménage pas son énergie. Il a su, au fil des années, multiplier des partenariats : sur les 8 millions de budget du festival, plus des deux tiers proviennent de financement privés ou internationaux.

Notre festival commence avec « Pss, Pss », du clown circassien très conventionnel mais au déroulé impeccable, on constate la ferveur d’un public emballé par l’humour et les acrobaties. Ici comme presque partout ailleurs, on le constatera par la suite, les jauges sont pleines, les standing ovations monnaie courantes, et le spectateur moyen plutôt jeune (le fils de la fameuse « prof de 50 ans » d’Avignon ?). Beaucoup plus postmoderne mais nettement moins convaincant, « iperformance » des Anglais John Freeman et Edward Lewis est une tentative de faire du théâtre-installation immersif et déconstructif : les comédiens circulent au milieu d’une trentaine de spectateurs assis dans une pénombre, et les interpellent individuellement : « Quel âge as-tu ? », « Qu’est-ce que tu aimes chez moi ? ».

Côté danse, on est heureux de découvrir deux (classiques) propositions du focus israélien. « Horses in the sky » de la Kibbutz Contemporary Dance Company, tout d’abord. Créée à l’Opéra de Sydney en août 2016 et menée par Rami Be’er, voici une pulsante représentation d’une sorte de cavalerie de l’Apocalypse, sur fond de la musique électrisante de Björk, d’Elvis et surtout de l’album du groupe de post-rock canadien A Silver Mt. Zion (qui a donné son nom au spectacle). Nous avions manqué « Naharin’s Virus », l’une des pièces emblématiques de la Batsheva, lors de son passage à Chaillot en 2014. Le FITS a offert une occasion en or de revoir ce chef d’œuvre du « Gaga style » d’Ohad Naharin : le Gaga, dialectique subtile entre individu et collectif, exploration de l’intérieur de sa chair et expressionnisme fulgurant des formes… Ici les 13 danseurs s’appuient sur « Outrage au public », pièce de jeunesse de Peter Handke, l’un des premiers manifestes explicitement anti-théâtral. « Outrage » conclut par une fameuse logorrhée d’insultes en vrac. Se faire traiter de « dirty Jews » par des danseurs de Tel Aviv, voilà tout un programme ! Mais le public ne se laisse pas démonter, même quand il est alternativement apostrophé par des « nazi pigs » ou de « ass-kissers ». D’ailleurs, le texte sera distribué à la sortie du spectacle, dans une traduction roumaine, de quoi enfoncer le clou à ceux qui n’auraient pas bien saisi les mots du dramaturge allemand.

Autre highlight du festival, la lecture de émouvants poèmes du prix Nobel Joseph Brodsky par Mikhail Baryshnikov. A noter aussi la programmation de « A Simple Space », performance australienne dont nous avions déjà parlé dans I/O Gazette n°62. Si la programmation au FITS reste de qualité très inégale, et donne parfois l’impression d’être submergé par des formes circassiennes pas toujours à la pointe de l’avant-garde, elle demeure une expression multicolore et joyeuse de l’extraordinaire vivacité du théâtre en Roumanie. Sur l’affiche du festival cette année, un éléphant offre des fleurs à une souris : comme une invitation à mettre de côté, pour un temps, tout ce qui nous sépare, comme un retour aux sources originelles du carnaval. Et ce temps-là est précieux.

FITS, 24e festival international de théâtre de Sibiu, du 9 au 18 juin 2017