On dit parfois que la première chose que les Finlandais demandent à un étranger, c’est ce qu’il pense des Finlandais. Le festival d’Helsinki, depuis 49 ans, est une sorte de réponse à ce désarroi identitaire, réel ou putatif. Au cœur de l’été nordique, il propose de mêler les créations artistiques, locales et internationales, avec enthousiasme. Reportage.

Autour d’un verre au Kapelli, brasserie historique de l’Esplanade en plein cœur de la ville, Topi Lehtipuu nous confirme son goût pour les formes hybrides. Son slogan : « Crossing borders ». Expression passe-partout ? Peut-être, mais le nouveau directeur du festival depuis 2015, par ailleurs chanteur d’opéra à la carrière internationale, est la démonstration vivante de cette volonté de décloisonnement des disciplines. Il porte sur son pays un regard pertinent quant à la réception des avant-gardes artistiques : « La Finlande est un pays jeune, les institutions n’ont pas encore eu le temps de devenir conservatrices ! », plaisante-t-il à moitié. Contrairement à certaines habitudes en France et ailleurs, les musiciens classiques ont toujours été liés à la création contemporaine. Si, théâtralement, le pays est encore en phase de défrichage de la modernité (à titre symbolique, Castellucci a été pour la première fois programmé en Finlande au cours de la saison passée), on sent que les appétits sont là. Et les institutions semblent suivre, comme en témoigne l’ouverture prochaine, en 2020, d’une Maison de la danse à Helsinki. De quoi donner à la chorégraphie contemporaine sa vraie place dans le paysage de la création finlandaise.

Avec plus de 200 000 spectateurs, le festival est le plus grand du pays, financé à un tiers par la ville, 20 % par les sponsors, et le reste par la vente de tickets et quelques fondations privées. Cette année est d’autant plus importante que la Finlande célèbre le centième anniversaire de son indépendance. Parmi les initiatives ayant remporté un vif succès populaire, la Nuit des arts, qui réunit amateurs et professionnels, mais aussi la Nuit de la philosophie, proposant de 10 heures du soir à 7 heures du matin une série de lectures, de débats et de performances au Kiasma, le musée d’art contemporain. L’année dernière, l’événement a attiré 5 500 spectateurs contre 1 500 attendus. Le festival se déploie dans une vingtaine de lieux. Au musée de la photographie, nous recroisons la route de Francesca Woodman pour l’exposition « On Being an Angel » qui avait été présentée l’année dernière à la fondation Cartier-Bresson. Une rétrospective indispensable, qui suppose que l’on ne cherche surtout pas à dissoudre Woodman dans la neurasthénie, la réduire à être une Sylvia Plath de la photographie. Mais plutôt chercher, dans les présences de chairs et d’ombres de ces quelques 120 tirages, l’Ange absent – qui est simplement en attente de l’autre côté du miroir (lire notre critique détaillée).

« Manifesto », avec Cate Blanchett

A la Kunsthalle, Cate Blanchett récite les grands manifestes du marxisme, du surréalisme, de Fluxus et des post-modernes dans une série de douze portraits d’aujourd’hui : voilà le projet expérimental, ambitieux et réussi de l’artiste allemand Julian Rosefeldt dans cette installation vidéo présentée d’abord à Melbourne en décembre 2015. L’Australienne n’avait certes pas besoin de cela pour prouver l’immensité de son talent d’actrice, mais la démonstration est ici flagrante. Et surtout le dispositif fonctionne parfaitement, avec la possibilité de suivre plusieurs discours en parallèle, jusqu’à ce point de contact où les écrans se synchronisent et où Blanchett, face caméra, y délivre douze messages d’une voix quasi robotique. La force de « Manifesto » est de parvenir, malgré l’aspect systématique, dogmatique et anti spectaculaire des textes, à les faire entendre et les articuler en créant un jeu d’écho ou de dissonances avec les mini-histoires dans lesquelles ils s’insèrent, le tout servi par une réalisation extrêmement soignée et une photographie impeccable. Prochaine étape : la sortie de la version cinématographique, en salles en France en novembre prochain.

En tournée en Europe toute la saison passée et la suivante, « Moeder » est le second volet de la trilogie familiale du collectif belge Peeping Tom, après « Vader » (2014) et avant « Kind » (2019). Une heure dix d’un théâtre physique au sommet de son art, drôle, puissant et intensément créatif. La scène, convertie en improbable musée métaphorique donnant directement sur un studio de musique épisodiquement reconverti en salle d’accouchement, est le refuge de quelques âmes en peine après la mort de cette mère dont « Moeder » explore les figures, leur présence et leur absence, jouant sur la polysémie des images et leur dimension surréaliste. En partenariat avec le Sampo, le festival d’Helsinki a également inclus « [Hullu] » (« folie » en finnois), qui fait partie de la programmation d’un tout premier festival international de marionnettes. Au Savoy, les Français du Blick Théâtre offre un spectacle poétique mêlant rêve et réalité avec douceur et virtuosité, bien que souffrant parfois d’une certaine langueur monotone. Une proposition finalement accordée avec le ciel mélancolique d’une Finlande mythique propice à tous les imaginaires…

Festival d’Helsinki, du 17 août au 3 septembre 2017