Dans le contexte de crise financière et politique que traverse en ce moment la culture, il semblerait presque redondant de souligner la préciosité des festivals de théâtre en France, et la difficulté de les mettre en place. Et pourtant, cela reste tristement nécessaire. Baisse des crédits, absence de volonté politique, difficulté de renouvellement des publics, enclavement… Les raisons qui font que maintenir un évènement est devenu un chemin de croix sont pourtant connues, mais les solutions, elles, restent un mystère. Nous verrons si les pass culture digitaux de 500 € ou l’ingérence qu’amènera forcément l’exigence de résultat souhaitée par le nouveau pouvoir exécutif changeront les choses. Mais en attendant, les festivals souffrent, et c’est ce qui rend un évènement comme le festival Passages d’autant plus nécessaire.

Car à la différence de la grande majorité des événements théâtraux intéressants de ce pays, le festival Passages n’est pas organisé sous l’égide d’un Centre Dramatique National, ni même d’une Scène Nationale. Non, le festival Passages a lieu à Metz (où se situe également son siège social), à respectivement 30 et 45 minutes d’autoroute des deux CDN les plus proches, dans une ville où le théâtre semble ne pas avoir droit de cité. Une seule salle à Metz, discrète : le Théâtre du Saulcy — sous-titré Espace Bernard-Marie Koltès, en hommage à l’enfant du pays qui a pourtant révolutionné l’écriture dramatique française : amère ironie — retranché sur le campus de l’université et administré par le Théâtre Universitaire de Metz, aux capacités de production et de programmation malheureusement limitées. C’est donc le pouls de la vie théâtrale d’un territoire tout entier qui se prend tous les deux ans pendant le festival Passages, et au vu de cette dernière édition, celui-ci semble malheureusement de plus en plus fébrile…

Sur la programmation, rien à redire : celle-ci reste belle et audacieuse, même après le renouvellement de l’équipe de direction artistique entre les deux dernières éditions. On y aura notamment assisté à une magistrale version de La Mouette par le lituanien Oskar Korsunovas, qui pousse encore plus loin l’ambiguïté du théâtre dans le théâtre pour mieux souligner l’actualité de ses thèmes et inscrire plus que jamais Tchekhov dans le présent. Ou au bouleversant Pourama Pourama de Gurshad Shaheman — véritable coup de cœur de ce festival — une performance autobiographique de 4h30 où le public est invité à entendre, toucher, boire, manger, sentir, pour une communion au plus près de l’intime d’un acteur iranien que la France a adopté et que le théâtre a sauvé de ses démons. Parfaitement sublime. D’autres moments plus faibles aussi, comme par exemple cet In The Eruptive Mode du koweïtien Sulayman al Bassam, souvent trop auto-complaisant pour être réellement efficace… À noter aussi la présence de Nikolaï Kolyada et de son Richard III détonnant, ou bien de ce Clean City venu tout droit de Grèce pour nous parler du rapport que l’on peut avoir à l’immigré aux portes d’entrée de l’Europe.

Un beau panorama d’artistes et de thèmes, donc, qui ne semble pourtant pas suffire à faire mouche… Car les salles, malheureusement, ne sont pas toujours pleines, malgré la légère baisse de tarifs amenée par le nouveau directeur (Hocine Chabira, issu du territoire, qui a succédé à Charles Tordjman dans une transition parfois mouvementée). Et le public, lui, ne semble pas vraiment rajeunir, malgré le partenariat récemment mis en place avec les grandes écoles de théâtre. On blêmit presque, alors, en pensant aux difficultés auxquelles devra faire face une équipe déjà resserrée à presque rien par les réductions budgétaires afin de faire survivre cet évènement pourtant si crucial. Car nul doute que leur volonté de continuer à proposer un festival audacieux et pointu ira à contre-courant de la volonté des tutelles locales, de plus en plus désintéressées par l’idée pourtant élémentaire d’une programmation ambitieuse, et donc citoyenne. Du courage ! De l’audace !