Peut-être que la quête ultime, le questionnement intime qui accompagne en sourdine les instants oubliés du quotidien pourrait se condenser dans notre besoin d’être indéfiniment dans l’attente. Car tous, nous sommes constitués d’une multitude d’espoirs ; des lendemains qui chantent, de la réception d’un mail, de la fin d’une histoire, du retour du Messie, du geste qui guérit et du mot qui soulage, nous attendons infiniment de compléter bout à bout notre inconfortable incomplétude. Alors, quel abîme venons-nous combler en nous présentant dans une salle de spectacle ? Les Danaïdes l’ont éprouvé pour nous, inutile de penser à long terme, la sensation de plénitude sera brève ; la permanence n’a pas ici droit de cité. Et c’est à ce point précis de déséquilibre perpétuel que résident notre salut et la magnifique mission des artistes. Ce moment suspendu, ce cadeau éphémère que peut être le temps d’une représentation met en jeu chaque soir, des deux côtés du plateau, le vide des uns et le trop-plein des autres. Les attentes respectives de ceux qui portent en parole ou en corps une intention prophétique et de ceux à qui elle est destinée. Parfois, les fluides s’échangent et nous voilà avec dans les yeux une part du mystère qui s’éclaircit, une pièce du puzzle qui prend naturellement sa place. Il serait pourtant plus lumineux de ne rien attendre (nous y travaillons sans cesse) et de savoir se laisser surprendre par ces instants de grâce. Certes, ils ne rempliront pas le tonneau percé, mais leurs forces agissantes et leurs facultés à s’immiscer même dans les recoins sombres prouveront, puisqu’il le faut toujours, l’absolue nécessité de la création au cœur des villes.