Man Anam Ke Rostam Bovad Pahlavan (c) alain scherer

Man Anam Ke Rostam Bovad Pahlavan (c) alain scherer

C’est entendu : chaque année vers cette époque, Reims recevra pendant quelques jours les marionnettes et arts associés. Du 6 au 9 novembre 2017 se tenait la deuxième édition de ce jeune festival, baptisé METACORPUS, organisé par le Jardin Parallèle, structure rémoise dotée d’un rôle important dans les arts de la marionnette.

METACORPUS propose une programmation pointue, en mêlant créations et spectacles éprouvés. La programmation se fait dans divers lieux, mais le festival se repose principalement sur Le Manège, superbe équipement bien situé en ville. Le spectacle proposé le jeudi 7 constituait un choix de programmation osé, car très expérimental. Ali Moini présentait en effet « Man Anam Ke Rostam Bovad Pahlavan », créé en 2016 au Festival Montpellier Danse. Il s’agit d’une proposition d’un abord âpre : pendant près d’une heure on y voit Ali Moini et ce qu’il convient sans doute de nommer un pantin, évoluer ensemble. En effet, tous deux sont reliés par un système de fils qui rendent interdépendants les mouvements de l’artiste et du pantin de métal. Tout le dispositif est à vue, dès l’entrée des spectateurs dans la salle, le noir ne se faisant d’ailleurs que très progressivement. Pour accentuer encore cette mise à nue des mécanismes, le son des poulies est même amplifié. Parfois, une bande-son faite de bruits syncopés, répétitifs, vient prendre le relais. C’est une proposition qui a sa beauté : le poids du pantin et des contrepoids tire Ali Moini vers le haut, et lui permet d’évoluer dans une sorte d’apesanteur, même si ses mouvements dépendent de la liberté que lui laissent les fils, comme s’il était lui-même une marionnette. D’amples et réguliers au départ, ils se font chaotiques à la fin du spectacle, le pantin entre-temps désarticulé bougeant de manière parfaitement erratique. La relation qui se construit avec le pantin vaguement humanoïde auquel l’homme est relié semble assez lisible – découverte, apprivoisement, lutte, rejet, libération – et l’intensité que l’artiste projette dans son double lui confère une importance suffisante. Les fils en eux-mêmes, selon la façon dont ils sont éclairés, peuvent dessiner de belles figures dans l’espace scénique très dépouillé. Cependant, le spectacle reste ardu, proche de la performance : l’absence complète de paroles fait reposer tout le spectacle sur des images qui ne sont pas toujours limpides – quid de ces morceaux de tissus rouge figurant de la chair, à moins que cela n’en soit vraiment, qu’Ali Moini attache laborieusement, une à une, sur le pantin qu’il désarticule en même temps ? La mise en son est très agressive, et, si l’effet est de faire efficacement monter la tension dans la salle, cela n’a rien d’agréable. Le rythme peut par ailleurs baisser à un point déconcertant, et pour de longues périodes. Surtout, la démarche artistique consistant à souligner le dispositif technique risque de détourner l’attention du spectateur, et de le couper des émotions qui peuvent naître du rapport parfois tendre et parfois conflictuel présenté sur scène. Quand vient la fin du spectacle, et que l’artiste se libère de ses fils un à un, on éprouve un net soulagement pour les personnages : c’est, au moins, un moment clairement émouvant.

Blind (c) Patrick Argirakis

Le spectacle présenté le vendredi 8 au soir était plus immédiatement lisible, mais sans doute pas moins ambitieux : il s’agissait de « Blind », de Duda Paiva. Sous le dôme du Manège, un espace scénique très ouvert attend les spectateurs. Trois espèces de cloches en tissu blanc sont accrochées à des fils. Duda Paiva lui-même, réalisera-t-on, est assis au milieu du public, dans un costume qui déforme son corps, affublé d’énormes lunettes. Les premières minutes du spectacle seront consacrées à faire la connaissance de ses voisins, et à planter les prémices de l’histoire : « I have diseases of the body », ou « I hope the guérisseur will help everybody in the room ». Ce démarrage est placé nettement sous le signe de l’humour, comique physique autant que de situation, notamment quand il se plante devant un membre du public en demandant : « Can you scratch me ? » Mais quand il entre finalement en scène, c’est comme manipulateur, qui s’efface graduellement derrière les 4 marionnettes de mousse qui apparaissent en scène. La première marionnette, celle de la guérisseuse, naît d’une des cloches. Plastiquement superbe, avec un regard perçant et quelques détails troublants de réalisme, elle est également extrêmement ingénieuse, puisqu’elle peut se manipuler de plusieurs façons et sous plusieurs angles. La mise en scène de ses pouvoirs de guérison, avec des flashs lumineux, manque un peu de poésie, mais elle est généralement émouvante, dotée d’une grande présence. Les autres marionnettes sortiront en fait des protubérances couvrant le corps de Duda Paiva : d’abord une marionnette capricieuse – qui hurle « Ne me touche pas ! Monster ! Freak ! » – puis une marionnette douce et belle, puis enfin une marionnette blessée, incomplète, apeurée, que le marionnettiste recueillera avec d’immenses précautions. Le manipulateur excelle à se faire oublier, comme il maîtrise l’exercice très dur consistant à figurer de façon crédible un affrontement physique avec l’une de ses créatures. Le propos, métaphorique, raconte la lutte contre la maladie, lutte spirituelle autant – sinon davantage – que physique : Duda Paiva fut effectivement aveugle pendant deux ans dans son enfance. Au travers de ce récit poignant, violent quand cela est nécessaire – la première marionnette, brutale et jalouse, assassine la deuxième, et Duda, en pleurant, finit par la tuer à son tour – mais également plein de tendresse et de beauté, Duda Paiva raconte sa vérité : c’est parfois lorsque l’on cherche le moins la guérison qu’on finit par la trouver, c’est parfois en laissant certaines choses partir, et en accueillant celles qui viennent, si imparfaites soient-elles au premier abord, que l’on trouve la paix. Peu de danse, au final, dans ce spectacle, mais beaucoup de talent en manipulation, une prise de risque personnelle à la fois dans le propos et dans le jeu. Ce n’est peut-être pas le plus bouleversant des spectacles de Duda Paiva, mais il s’agit tout de même d’un spectacle esthétique, émouvant, et en tous points fréquentable.

METACORPUS proposait également, entre autres, une rencontre professionnelle, un spectacle d’Angélique Friant, « Eclipse », une création de la CréatureS compagnie, « PROJET Z.E.R.O. », l’excellent « Cendres » de la cie Plexus Polaire, ou l’adaptation du « Cercle de craie caucasien » de Brecht par Bérangère Vantusso avec les élèves de la promotion sortante de l’ESNAM. Un festival de taille modeste, mais qui sait trouver de très beaux spectacles et de très beaux lieux, dans une ville qui sait être accueillante malgré les assauts du froid. Un nouveau rendez-vous fort sympathique sur la carte des festivals marionnettiques.