Retour sur le 12e showcase du théâtre croate

Organisé par la section croate de l’ITI (International Theatre Institute), le showcase est l’occasion de découvrir une sélection de spectacles qui ont marqué la saison passée. Le premier soir, à Zagreb, c’est à « Hinkemann » d’Igor Vuk Torbica qu’on assiste, fable d’Ernst Toller qui traduit les obsessions, toujours actuelles, d’une époque. Cette espèce de Woyzeck mutilé, décalé par rapport à ses contemporains (on se souvient du personnage interprété par Nordey il y a deux ans à La Colline), est comme une épine dans les interstices de nos rapports sociaux. Cette violence est intelligemment représentée sur scène par Torbica, malgré quelques longueurs manifestes. Elle résonne d’autant plus fort dans un pays marqué par un certain mal-être après le double éclatement postcommuniste et post-yougoslave.

Le lendemain, départ pour Rijeka, la première ville portuaire du pays, située à moins de soixante kilomètres de Trieste et la frontière italienne. Au programme, un focus consacré à Oliver Frljic, avec notamment sa trilogie sur le fascisme croate (« Bacchae », « Aleksandra Zec » et « Croatian Theatre »), dont la première partie avait été montée en 2008 dans une version quelque peu différente. Elle avait à l’époque propulsé la carrière du metteur en scène en générant une polémique toujours pas éteinte aujourd’hui, si l’on en juge les réactions face à sa nouvelle création « Our Violence and Your Violence » (voir notre critique de ce spectacle que nous avions découvert lors de sa violente controverse au MESS de Sarajevo à l’automne 2016). Frljic est-il le bad boy du théâtre croate ? A 41 ans, sa réputation sulfureuse, les menaces de mort qu’il reçoit régulièrement témoignent simplement du fait qu’il a réussi à mettre le doigt sur les plaies encore béantes de l’ex-Yougoslavie : culpabilité des gouvernements dans les massacres, persistance de haines interethniques, guerre non digérée et surtout identités nationales douloureuses… Frljic ne s’embarrasse pas de demi-mesures théâtrales. Il va droit dans le trash, les déambulations noisy, la destruction symbolique des icônes religieuses ou politiques. Il n’est pas toujours facile, cependant, de comprendre l’intégralité des enjeux et des références ultra-précises à certaines personnalités politiques ou artistiques avec lesquelles un public non-croate est peu familier.  Aussi provoc soit-il, le travail de Frljic joue un rôle important dans l’expression d’une opposition aux crispations identitaires et  au conservatisme moral qui continue d’être prégnant en ex-Yougoslavie, pour preuve un appel au boycott par l’Église orthodoxe, soutenue par le ministère de la Culture…

Nettement plus consensuel, « Le Tour du monde en 80 jours » de Matjaz Pograjc est un spectacle pour enfants adapté fidèlement du roman de Jules Verne. Utilisant un dispositif ingénieux de carrousel tournant au gré des pérégrinations de Phileas Fogg, le metteur en scène et ses comédiens impeccables ont déployé une énergie et un sens de l’humour efficaces auprès d’un public particulièrement réceptif. La dernière journée, de retour à Zagreb, est consacrée à deux performances extrêmement disparates au Theatre &TD : « Ms Fox Invited Ms Cat for Tea », de la compagnie Kik Melone, est l’occasion d’une discussion sur l’état de la danse contemporaine en Croatie, entièrement indépendante et faiblement soutenue par les institutions avec peu ou pas de possibilité d’avoir un partenaire de production stable. Dans « Magic Evening »,  Anica Tomić parle de ces Croates « qui croient tout savoir sur tout », ces classes moyennes boboïsées pour qui une seule faille dans leur réalité peut faire écrouler tout l’édifice. Le théâtre de Tomić est une tentative de prise de conscience, même si la metteuse en scène précise : « Notre société n’est pas encore complètement prête pour la catharsis ».

Croatian Theatre Showcase, Zagreb et Rijeka, du 20 au 24 avril 2017