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Au centre de l’œuvre, un dispositif fort, qui interroge notre capacité à esquisser l’individualité de quelqu’un à travers ses éléments manquants – ici, voix ou image : dans un studio jouxtant la scène, un groupe d’une dizaine de spectateurs/performeurs, découvre l’enregistrement vidéo – sans le son – d’un inconnu, dont ils reproduisent les attitudes physiques – autant de gestes, postures, mimiques, par lesquels apparaissent, déjà, les contours d’un individu. De celui-ci, ils ne savent rien : ni ce qu’il raconte, ni ce que ses gestes accompagnent, ni qui il est. L’identification physique, néanmoins, leur permet de s’approcher de cet être silencieux. Dans une autre salle, principale, un écran retransmet en direct leur pantomime empathique à un autre « public » – l’ensemble des « spectateurs », au sens plus traditionnel du terme. Ceux-ci, munis de casques audio, entendent la voix du/de la protagoniste, cette fois sans son image : projetée sur l’écran, c’est celle des performeurs, devenus miroirs simultanés, avatars mimétiques de celui-ci, qui permet d’imaginer le corps de cette parole, l’enveloppe sensible de cette voix encapsulée dans un casque. Aussi étrangers à sa voix que nous le sommes à son image. Si bien que c’est un être mystère que la rencontre, à la fin du spectacle, entre les performeurs et les spectateurs, cherche à reconstituer. L’énigme galvanise, lie les spectateurs qui, avec un enthousiasme rare, échangent les indices d’une même quête (qui est-ce ?). Le « geste » est un signe, il devient en outre un indice. Il relève d’un alphabet à la fois hyper-individuel et partageable, d’un langage corporel simultanément propre à soi et ré-appropriable ; avec délicatesse et éloquence, la proposition des artistes-chorégraphes tunisiens Selma et Sofiane Ouissi invite à penser une éthique du corps, par laquelle la simple présence physique d’autrui me convoquerait à le considérer, où l’attention à ses gestes et à leurs nuances, constituerait autant d’invitations à le laisser apparaître. De sorte qu’observer le détail de l’autre, retenir son “moindre geste”, lui offrir la pleine présence de son regard, ne devrait pas seulement advenir lorsqu’il s’agit de compenser une identité incomplète. Si la réussite du spectacle tient à l’originalité et au brio du dispositif, elle repose d’abord et avant tout sur la personnalité de la voix qui s’exprime. Ainsi, c’est la bouleversante Assia, dont la voix mêle une vitalité de reine avec le récit des pires épreuves, qui nous a complètement embarqué. Une réserve, sous forme de question : une vie moins mouvementée, racontée par une voix monocorde, est-elle à même de créer le même effet ? La même intensité narrative ? Sur quels critères, alors, les individus sont-ils été choisi ? Des histoires plus “banales” peuvent-elles porter avec la même vibration le dispositif ? Le duo tunisien a pris soin de collecter les récits de participants marseillais, ancrant la performance dans le territoire. On reviendra pour appréhender dans sa globalité Le moindre geste, et en approcher les différentes histoires et leurs incarnations.