© Marie Pétry

Requins pneumatiques sur fleuve de curaçao : voilà comment se rêve l’été indien du théâtre à Tours, où le festival WET° s’impose désormais comme un rendez-vous incontournable de l’émergence scénique. Avec une fréquentation en hausse très nette,  tant au niveau du public que des professionnels (l’évènement attirant cette année des programmateurs européens), la 4e édition a investi des espaces inédits (comme la Mame, nouvelle Cité de la Création et de l’Innovation) pour y égrener ses brillants rejetons.

Inhérente d’abord au défrichage exigent des jeunes comédien.nes du JTRC, cette réussite découle aussi de la direction menée par Jacques Vincey et son équipe, qui ont su faire de la verrière aquariumnique du Théâtre Olympia bien plus qu’une institution urbaine : un lieu de vie, peuplé de grands « espadons » hostiles au barbotage (comme l’a clamé l’un des organisateurs), curieux bienveillants issus de tous les horizons sociaux et générationnels. 

« La juridiction du théâtre commence là où s’achève le domaine des lois terrestres » écrivait Schiller, et si cette édition s’est voulue plus benthique que jamais, c’est sans doute parce que l’émergence s’y est déclinée comme un authentique seuil de perception, une heure bleue suffisamment persistante pour révéler d’heureux flottements de l’art et du sens. Flottaisons émotionnelles d’abord, car si l’ensemble des propositions fut imbibé par le viscosité du présent (drames migratoires, theatrum mundi politique et mouvements sociaux), leurs désarrois furent tout au plus « marécageux » et leur mélancolie souvent « tropicale » (pour faire allusion à deux tubes de la nonchalante compagnie Laïka, qui fut l’une des fantastiques découvertes du festival). Notes d’espoir dans un chant de gare (Julie Guichard), légèreté satirique pour une vibrante suite française (Hugues Duchêne, « Je m’en vais mais l’Etat demeure »), sourires invisibles sous la grisaille aliénante du costume (« Capuche », Victoria Belen Martinez) : le spleen ne serait plus à la mode comme dirait l’autre, sans que cette légèreté retrouvée soit un symptôme précoce de la tour d’ivoire. Flottements temporels ensuite, car si cette jeune création surfe encore sur un certain « théâtre du présenter » en délimitant objectivement son cadre de jeu ou en se ventant haut et fort d’être « là, et puis c’est tout », l’heure des sensations vraies est aussi celle des absences (celle des fantômes dans « Toi tu creuses » et celle des aimés, que Camille Dagen cherche à faire affleurer par la « Durée d’exposition », autre révélation précieuse du week-end), sur des plateaux déréalisés par la seule vibration d’une plante verte et la métaphysique retrouvée d’une rengaine sirupeuse. 

L’écriture projetée, programmée ou performative, fut l’un des fétiches esthétiques de ces jeunes créateurs, que celle-ci soit simplement informative dans « Toi tu creuses », protocolaire chez Hugues Duchêne et Camille Dagen, ou burlesquement spectrale dans « Hamlet » et « Le Palace de Rémi », semblant traduire une commune volonté d’inscrire du signe dans l’image pour la faire persister. Une nouvelle façon de dramatiser le présent en somme, opportune et réconfortante, montrant que cette « célébration » de la jeune création n’est pas qu’un thermomètre arbitraire des délires collectifs, mais la preuve vertigineuse d’un nouvel ordre théâtral à venir. « Ces irrégularités sont peut-être ce qui vous permettra d’obtenir le tirage le plus juste » indiquait la notice de l’appareil photo dans « Durée d’exposition » : ces mots ne pouvaient  mieux rendre justice à la raison d’être de toutes ces propositions, aussi foutraques soient-elles parfois.

« La dernière fois qu’on nage on ne le sait pas » chante Bertrand Belin, alors dans cette incertitude vertigineuse, souhaitons de tout cœur que nous aurons encore piscine à Tours au printemps 2020.