© Archipel, 2019

« Nulle pensée ne m’est plus étrangère que celle de faire des prosélytes ». Cette position nietzschéenne est d’abord liée à la certitude de la vanité de tout métadiscours, de toute pensée verbeuse et inutilement bruissante. S’il est coutume de voir des bibles de spectacles ou des éditoriaux enrubannés de ces traits boursouflés, force est de constater que le climat social et politique de ces dernières années – pour ne pas dire mois – fonce tête baissée vers quelques sujets démesurément à la mode, agités comme des chiffons rouge de toreros. Les thématiques liées au genre ont virevolté en un temps record jusqu’en première place des scènes artistiques, et nous les retrouvions, entre autre, à la 72e édition du Festival d’Avignon en 2018.

Plutôt que de réitérer ce que nous avons déjà écrit à ce propos, penchons-nous plus avant sur l’une des dernières mise en scène du thème du genre et de la femme. Le festival Archipel se conjugue au féminin le temps de sa saison 2019. Le but : « agir concrètement » contre ce qui est présenté comme une tendance à la « sous-représentation et sous-évaluation » des femmes autrices et interprètes dans le domaine musical. Voici la chose faite puisque, avec ses 45 compositrices sélectionnées selon des critères esthétiques, générationnels et géographiques, on ne pourra plus vraiment se plaindre d’un manque de diversité (quoi que ?).

C’est peut-être en laissant tomber tous ces calculs savants que le véritable charme du festival prend son envol. Indépendamment de leur sexe et du discours sur celui-ci, les excellentes artistes inscrites à la programmation nous emportent avec bonheur dans une plongée de notre passé et présent musical. Les pièces sont exécutées avec un très grand niveau de technicité. Les solistes du « Salon de musique », Suzanne Fröhlich à la flûte et les sœurs Öhman au violoncelle et percussions, sont particulièrement excellentes ; elle réussissent un pari difficile en rendant accessible un répertoire très pointu qui résiste souvent aux oreilles non averties. Des ensembles contemporains remarquables, tel que le chœur Spirito ou encore le quatuor Béla, participent eux aussi à la découverte – ou redécouverte – du patrimoine musical principalement européen, même s’il s’aventure par endroits en dehors du Grand Continent. Le goût pour l’expérimentation est mis à l’honneur à travers de multiples formes et formations ; en particulier, le spectacle « We Need Space » de Julie Semoroz propose une odyssée sensorielle et immersive qui nous arrache à notre rapport au temps conditionné par une pensée néo-libérale de la rentabilité et de l’efficacité chronométrée.

Plutôt que de gloser sur des chiffres brandis à la volée, manquant de repères épistémologiques, l’art qui s’exprime sans gangue idéologique se met à nu et entre véritablement en résonance avec son public. L’harmonie tient du faire, non du dire. La réussite du festival Archipel sur le plan artistique et pédagogique – notamment grâce à l’ingénieuse Académie menée, cette année, par Katharina Rosenberger – en est sans nul doute une preuve formidable. Laissons donc tomber l’orgueil des beaux discours : « Vanité des vanités », disait l’Ecclésiaste, « tout est vanité ».

Festival Archipel, Genève, du 28 mars au 7 avril.