Madeleine est, on le sait, la lumineuse poupée de chair que James Stewart tente de remodeler à sa manière après avoir perdu un première « Madeleine » dans “Vertigo”. Les deux Madeleine, irréelles et fantasmatiques, permettent à Stewart de reprendre goût à la vie, puis causent sa perte. Madeleine est ici devenue une poupée de silicone plus dangereuse encore que Kim Novak. Elle est au cœur d’un conflit entre Nora la syndicaliste et Thierry le chef d’atelier devenu cadre. Amoureux, rêvant d’un avenir plus doux pour leur enfant à naître, ils s’affrontent face au projet de leur entreprise de produire à grande échelle des poupées pour adultes destinées à « réconforter les hommes seuls » et aussi, marché secondaire supposément juteux, de compagnes pour malades d’Alzheimer. Thierry ne voit pas le problème dans ce projet, il y investit même des économies importantes. Nora est scandalisée par ces poupées censées remplacer le corps des femmes.

Ce qui nous intéresse dans le beau spectacle d’Olivier Lopez, c’est l’ambivalence des discours. Celui de Thierry l’apprenti capitaliste (fort sympathique Alexandre Chatelin), dont a malgré tout envie de croire à l’ascension balzacienne malgré le ridicule de ses propos et la prescience de l’issue tragique qui l’attend. Celle de Nora dont on a trop entendu les formules usées d’appel à la révolte pour croire à ses chances de mobilisation. Et si c’était eux les poupées impuissantes, questionne Olivier Lopez, gesticulant face à des scénarios dont ils restent les marionnettes ? Et si le vrai pouvoir n’était pas entre les mains de cette « poupée de cire » démoniaque au point de séduire le père de Thierry, dissimulatrice au point de se faire passer pour une mère décédée, manipulatrice au point de pousser un des protagonistes au suicide ? L’avenir est sombre dans cette société post-Covid où le virtuel a franchi une nouvelle étape, celle de la re-matérialisation, un monde colonisable par des fantasmes numériques devenus zombies siliconés. Thierry succombera bientôt à la poupée. Un médecin reconverti en fan de Johnny nous rappelle qu’il nous reste nos corps, ultimes remparts pour vivre et pour mourir, et nous empêcher de nous détruire.