Ensevelir les morts

Résurrection

Retourner à la terre ou retourner la terre, sur la scène du stadium abandonné de Vitrolles, tout se confond et finit dans la boue. Sommes-nous dans une allégorie des guerres qui cognent aux portes de l’Europe ou dans une reconstitution des charniers du XXe siècle ? Ni Romeo Castellucci, ni les acteurs au plateau, ni même l’orchestre et les chœurs en fosse ne nous donneront d’explication. Voilà le spectateur enfin seul avec sa conscience, agitée par les percussions déchaînées de la symphonie de Gustav Mahler, aux prises avec les questions les plus archaïques de l’existence. 555 tonnes de terre humide recouvrent le plateau, deux ouvertures vers le réel en fond de scène laissent les cigales s’en donner à cœur joie avant de servir de passage aux convois humanitaires et autres tractopelles pour déblayer, creuser, éventrer la terre qui porte en elle une nécropole de cadavres à reconnaître. Puis viennent la nuit, le silence, l’effroi et la musique. Un corps trouvé par hasard révèle à chaque pelletée supplémentaire l’étendue du massacre. Si le premier corps sorti de terre fait sensation, le centième achève notre foi en l’humanité. Dans ce déploiement esthétique d’une seule image – un ballet de blouses blanches maculées de fange et d’horreur – Romeo Castellucci déchire nos rapports policés ou mièvres à la mort. Il ne s’agit pas ici de s’apitoyer mais de répertorier. Pourquoi déterrer les corps pour les enterrer à nouveau ? Nommer le corps mort lui donne-t-il plus de vie auprès des siens ? La Bible nous enseigne que « nés poussière, nous redeviendrons poussière », l’homme cherche-t-il à occulter la putréfaction pour ne pas se confronter à la réalité puante de sa finitude ? Gustav Mahler nomme sa symphonie n° 2 « Résurrection », Romeo Castellucci nous contraint à l’attente eschatologique de cette vie à nouveau promise. Ici, rien n’adviendra. Seuls la pluie qui exhale le parfum du champ de bataille scintillant, retourné et désert, et les chœurs qui exaltent le dernier mouvement et l’élèvent dans les nimbes donnent à chacun le goût délicat du paradis.