On nous ment

Mensonges

Un spectacle inédit, d’une finesse remarquable, dans un lieu magique. Tout y est vivant, même les auteurs !

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 « La seule façon de changer les choses, c’est de commencer à imaginer qu’elles puissent être autrement. »

Véronique Bellegarde commande à six jeunes auteurs européens six textes ayant pour thème le mensonge public. Nicoleta Esinencu (Moldavie), Joseph Maria Miro (Espagne), Yánnis Mavritsákis (Grèce), Davide Carnevali (Italie), Frédéric Sonntag (France), Christian Lollike (Danemark) se prêtent au jeu et composent six histoires féroces, déjantées et cruelles. Le pouvoir de l’argent, la corruption, la manipulation par la peur, la crainte sécuritaire, l’écologie face à la politique, la politique face aux médias.

Les spectateurs sont brinquebalés de jardin en jardin, de cloître en cloître dans ce magnifique domaine de la Chartreuse. À chaque texte un nouveau lieu. Il s’agit d’une « mise en espace », les acteurs ont donc le texte en main, et cette contrainte de la lecture, loin de retirer au spectacle, réussit le défi improbable de valoriser autant les comédiens que l’écriture. Grâce à cette distance imposée par la lecture, un espace précieux s’installe entre acteurs et spectateurs : l’espace pour rêver.

Les écritures ont chacune son identité propre, mais elles ont en commun une approche subtile, implicite, qui ne pose pas de contexte défini, pas d’évidences mais des situations flottantes, prises de biais, qui créent souvent un sentiment d’étrangeté, de dangerosité. Le thème du mensonge public n’est jamais abordé frontalement (excepté dans le dernier texte sur l’écologie) mais avec une forme d’ironie toute particulière et extrêmement délicate. Le musicien qui joue et mixe ajoute à ce sentiment d’anormalité. Il y a de l’absurde dans tout cela ! (« Le champ des miracles au royaume des cons où tu peux planter des petits billets de banque et des pièces de monnaie. ») Rien n’est moralisateur ni didactique ; ce thème brûlant est abordé avec beaucoup de finesse et d’humour. Comme « par en dessous ». C’est presque à la fin de chaque « vignette » que l’on se dit : « Ah, ça parlait de ça ! »

Tout confère à ce spectacle une sensation de vie et d’inédit. Les jeunes auteurs vivants, certains présents à Avignon, et qui ont même écrit ces textes pour Avignon, le jeu des acteurs plein de vitalité, les espaces extérieurs irremplaçables, l’âme des lieux, le vent dans les arbres, l’ombre et le soleil, les vieilles pierres, les fortifications du château d’à côté, les oliviers. On se sent au cœur d’un art vivant et plein d’avenir. On se dit que l’écriture contemporaine a encore de beaux jours devant elle.

Un moment fort, dans l’amphithéâtre qui jouxte l’église, le président vient voir une journaliste, la nuit, en clandestin, sous une pluie battante (fond sonore « pluie battante ») et lui fait promettre d’écrire à la une de son journal du lendemain « LE SOLEIL BRILLE » pour apporter de l’optimisme à un peuple en crise. Il joue sur la crédulité populaire et sur notre pouvoir à imaginer, à s’aveugler. À la fin de la scène, elle quitte le plateau, et ses cheveux, dégoulinant de sueur de ce soleil d’Avignon écrasant, nous font étonnamment penser à quelqu’un qui aurait pris la pluie… Quand l’illusion théâtrale sublime le mensonge public !

Les acteurs, Quentin Baillot, Christophe Brault et Odja Llorca, sont formidables. Forts, denses, fantasques et dangereux.