Lettre à Jean-Pierre Darroussin

Cher Jean-Pierre,

Je ne vous connais pas, et pourtant cela fait trente-cinq ans que vous guidez mes pas. Très exactement depuis que je vous ai découvert dans « Psy », de Philippe de Broca, en 1980. À l’époque déjà, et immédiatement, la tendresse de votre posture lunaire m’avait touché. Et tout de suite je vous ai aimé, vous et chacun des personnages que vous avez toujours incarnés avec une vérité déconcertante.

Je vous ai trouvé attachant dans « Dialogue avec mon jardinier », de Jean Becker. Même après la mort de votre personnage, vos partenaires célébraient encore l’amour qu’ils vous portaient dans des discussions délicates et affectueuses. Vous m’avez fait pleurer en père aimant et perdu dans « Qui plume la lune ? », de Christine Carrière. Vous savez incarner tout à la fois l’ami idéal, celui sur lequel on peut compter parce qu’il pose toujours sur vous un regard accueillant et réparateur, mais aussi le solitaire meurtri et discret qui porte seul ses tourments pour ne pas en imposer le fardeau aux autres. Vous m’avez fait rire bien des fois aussi, pas de ce rire gras qui réduit à néant les nuances, mais de ce rire qui se nourrit des sensibilités de la vie humaine, de ses fragilités, de ses lâchetés et de ses courages. Héros ordinaire qui maintient obstinément sa route comme l’a fait à une autre époque James Stewart affrontant le Sénat.

Toutes ces vérités de l’humain que vous traduisez à merveille font de vous un être à la fois « banal » parce que vous ressemblez à beaucoup d’entre nous, fragile, complexe, et en même temps unique parce que vous seul savez les révéler avec autant de beauté et de bonté. Si le cinéma est l’art qui donne à voir en les transcendant les aspérités de l’existence et les replis de la vie, vous êtes un de ses grands artistes. Parce que votre masque d’acteur nous dévoile sans jamais nous défigurer.