Lettre au Chauve

Dans mes visions, il y a toujours le Chauve. Toi. Tu jouais du thérémine et tu faisais des bruits avec ta bouche. Avant d’être musicien, tu étais acteur. Pas un acteur de foire comme le sont tous nos semblables, dixit le Grand Will, mais un brûleur de planches et de mots. Un incendie humain d’un mètre quatre-vingt-dix, aux yeux clairs et au crâne lisse.

Dans mes visions, tu allumais les feux, et tu les éteignais aussi. En pissant dessus, parfois. En te regardant, je me disais que si John Malkovich avait été incontinent, j’aurais voulu être dans le pot de John Malkovich. C’est dire comme je t’aimais. Mais quand on aime on ne conte pas. Tu admettras que c’est pénible pour un auteur.

Tu te demandes peut-être si tout ça est bien désintéressé. Qui est le gigolo de l’autre, hein ? D’accord, je veux bien admettre, dans un élan d’honnêteté éthylique, que mes cheveux ne souffrent aucune concurrence. Déjà on ne me voit pas sur scène, alors si c’est pour qu’on s’extasie sur une touffe autre que la mienne… Les acteurs à toison, dehors ! Bon débarras ! Mais Bouquet, Collette, ou même Bonnaffé quand il mouille sa mèche dans un Centre dramatique national, et ma plume rapplique !

Où tout cela a-t-il commencé ? Tu es apparu dans l’abyme d’un texte de fiction. Puis j’ai croisé ta route dans un ancien établissement pénitentiaire ; je t’ai retrouvé plus tard à Barcelone, dans un théâtre où il ne reste que les débris de la révolution toujours à venir. Et, sans nul doute, tout s’achèvera sur le mont Chauve, les bras en croix.

On s’interrogera : ce type est-il réel ? Des logorrhiciens verseront de l’encre sur ce point précis. Laisse-les faire. Tu as l’habitude de laisser couler les mots le long de ta tuyauterie. Boômbeur dépenaillé, tu sonnes la cloche de la vérité avant-dernière.

Toi, pousseur de sons à défaut de poils, flambeur de monologues, frère : tu traînes ton corps fatigué d’un plateau à l’autre. Mais tu vas pouvoir dormir, bientôt. Car je me suis rendu compte que si c’est pour toi que j’écris, c’est donc, mathématiquement, pour toi que je me tais.