"Que demande le peuple ?"

Réponse de Francis Lalanne

Le théâtre prend ses racines dans le mot « theatron », qui signifie en grec ancien « l’espace regardant ». Il en découle une vérité aussi pure que simple : le lieu du théâtre n’est pas la scène, mais bien la salle au moment où elle est investie par le regard public. Vouloir ériger un mur imaginaire entre l’espace regardé et l’espace regardant, c’est nier l’essence même du théâtre.

De quoi parle-t-on quand on invoque le quatrième mur ? D’ajouter une comédie à l’autre en faisant semblant de faire comme si on n’était pas vu par le regard auquel on s’expose ? Foutaises ! Monter sur une scène, c’est bien comparaître, et non vouloir disparaître en occultant de près ou de loin l’assemblée des regards. Tout au théâtre est fait pour donner à voir : les lumières, la scénographie, le décor, les costumes, la mise en scène et le texte lui-même, avec ses didascalies et ses apartés.

Tout n’est que calcul de trajectoire du sujet regardé vers l’objet regardant (j’entends par « objet » la salle vide devenue théâtre par le regard du public). Tout n’est que stratégie de reformulation à l’instant relaté. Tout n’est que re-présentation, c’est-à-dire réorientation du regard par le truchement de l’expression dramatique. Le but de ce qu’on nomme ainsi « théâtre » est bien de reconfigurer le theatron en lui proposant une vision organisée, consciente d’elle-même, et non pas repliée sur l’espace regardé.

L’idée d’enfermer l’acteur dans une conscience confinée et coupée de l’énergie regardante par un mur invisible, comme un rat dans un bocal, précipite le théâtre dans les affres d’un naturalisme scientifique qui n’a plus rien d’artistique. Ce serait oublier Jean Cocteau, qu’on peut paraphraser en : « Le théâtre invente la réalité. »

L’acteur digne de ce nom doit demeurer hyper conscient de sa présence face au theatron. Son rôle est de s’offrir lui-même en sacrifice sur l’autel du regard d’autrui par la conscience qu’il a de sa présence. Ceux qui veulent aujourd’hui ériger un mur imaginaire sont les matons d’une prison qui usurpe le nom de « théâtre ». Si mur il y a, c’est justement celui que le spectacle vivant doit nous permettre d’abattre afin que l’œil humain puisse enfin regarder ce qu’il ne pouvait voir derrière les murs de l’existence.

Assez de murs, assez de psychopathes enfermant les acteurs dans la pensée unique. Un acteur sait ce qu’il a à être ! Il a d’instinct, comme un animal scénique, le sens de la conservation de sa prérogative, et donc de celle du public. Qu’on se borne donc à lui dire ce qu’il a à faire sans vouloir confisquer sa liberté de jouer avec le public aux jeux du théâtre. Le metteur en scène doit être l’animateur et non le garde-chiourme.

Acteurs de tous les pays, proclamons une fois pour toutes, sur fond de prélude de Bach par Rostro devant le mur de Berlin, enfin la chute du quatrième mur.