Thibault Amorfini : “Quand est-ce qu’on arrive ?”

La question me plonge immédiatement dans un souvenir d’enfance, à l’intérieur de la Renault 5 Turbo bleue métallique de mon père, avec ma mère, sur le trajet reliant Paris à Riom-ès-Montagnes en Auvergne. 516 kilomètres de route qui au stade de l’enfance me paraissait une éternité. Entre mal de voiture et siestes courtes, l’interrogation revenait systématiquement comme un gimmick. Un regard de jeunesse porté sur l’arrivée, les yeux rivés sur le bitume qui défilait sans prendre en compte la nature floutée par la vitesse. Sur la plage arrière de la voiture le passé, sur le capot avant le futur, et cette question qui n’était qu’un prétexte pour remettre en question le présent. Un instantané qui restera comme une image bouée que je chérirai à la disparition de mes parents (le plus tard possible). De cette interrogation est venue avec le temps la perspective d’un monde nouveau et au détour des chemins de traverse la question est devenue vaine… Le trajet ennuyeux est dorénavant une expérience de vie puissante où chaque instant se grignote. Les yeux décryptent désormais ce paysage que notre impatience floutait, descendu de la voiture qui nous a sortis de l’enfance, nous avançons en cavalier solitaire. La question s’efface peu à peu puisque notre destination se trouve ici en gare du présent. On regarde l’horloge en attendant le train sur le quai pour saisir notre nouvelle destination, celle où nous basculerons définitivement dans un voyage infini. On aimerait se retourner pour revenir sur nos pas et changer ce qui est définitivement gravé dans notre histoire, pour croiser par exemple une dernière fois le regard d’un ami qui a déjà pris sa place vers cette destination sans retour. Toujours sur ce même quai, en attendant notre heure, on espère que cette fois-ci notre train sera en retard (et on ne demandera pas de remboursement pour sûr), et dans cette délicieuse attente immobile propice à la réconciliation, on se pose cette question à la fois vertigineuse et terrifiante : quand est-ce qu’on repart ?