Pauline Delabroy-Allard : comment faire ?

Comment faire avec l’été ?

Comment faire quand il fait trop chaud, si chaud qu’on ne sait plus comment on s’appelle ? Comment faire quand on voudrait lire tous les romans de la Terre et qu’on ne trouve pas le temps d’en ouvrir un seul ? Comment faire quand on voudrait être seul mais qu’on aime beaucoup trop les gens ? Comment faire quand on se rend compte que des grappes de petits enfants traînent au parc jusqu’à pas d’heure, sans leurs mamans, sans leurs papas, laissés à eux-mêmes, désœuvrés, dans la moiteur étouffante de la ville méchante ? Comment faire quand nos dirigeants nous mentent et nous manipulent, en imaginant que puisque c’est l’été, on ne s’en apercevra pas ?

Comment faire avec l’été ?

Comment faire quand on baisse les bras ? Comment faire avec la pensée de tous les vieux qui ont soif dans leurs mouroirs ? Comment faire avec l’idée de leurs langues sèches, avec l’idée de leurs rides creusées, avec l’idée de leurs pensées ralenties, sans doute dirigées vers un souvenir lointain mais plus puissant que les autres, vers une tentative de douceur ? Comment faire avec les chiens abandonnés sur les aires d’autoroute, les bébés oubliés dans les voitures en plein soleil, les femmes battues parce qu’elles sont femmes et que la chaleur rend les hommes encore plus fous qu’ils ne le sont déjà ? Comment faire avec ceux qui ne savent pas ce que sont des vacances, avec ceux qui continuent à travailler, qui ne connaissent pas le Festival d’Avignon, les trains bondés direction le Sud, qui s’en foutent pas mal de savoir que « transat » vient du mot « transatlantique », que le spritz est déjà un peu ringard, comment faire avec ceux qui n’imaginent même pas qu’il existe des gens qui ne font rien de leurs journées ?

Comment faire avec l’été ?

Comment faire avec la première goulée d’eau de mer, avec ce plaisir fou qui vient tout ébranler ? Comment faire avec le jus des abricots qui coule le long des poignets, avec ses seins nus au réveil, comment faire avec l’odeur des immortelles ? Comment faire pour capturer ça, ne pas en perdre une miette, pour sauver le pactole, la pépite, le trésor sacré qui disparaîtra comme il est venu, à l’improviste ?