Le désopilant portrait d’un théâtre sous contraintes

C'est un métier d'homme

C'est un métier d'homme

“C’est un métier d’homme” au Grenier à Sel (D.R.)

La littérature oulipienne se présente comme une « littérature sous contraintes », usine à générer des textes loufoques en quantité illimitée. Ici, la proposition a été transposée pour le spectacle vivant : on assiste à un « théâtre sous contraintes ». Le décor est minimaliste, fait de bric et de broc – quelques éléments d’une salle de conférences, rapidement chambardés, créent un espace presque antithéâtral (les comédiens s’en amusent, d’ailleurs). De même, le texte est un pur jeu littéraire, une suite d’autoportraits cocasses écrits selon une même matrice textuelle par des membres de l’Oulipo. Et les costumes semblent tout droit sortis d’une malle à déguisements. Bref, le duo composé de Denis Fouquereau et David Migeot, tous deux hilarants, joue avec les ingrédients du théâtre, comme pour en désarçonner les règles, détourner le public et désabuser nos habitudes. Et crée la surprise là où tout semble devoir se dérouler comme sur des roulettes. Car au premier abord la formule est mécanique, efficace, et même délibérément redondante : une série de sketches burlesques à l’humour souvent potache s’enchaînent, présentant à chaque fois un personnage qui se vante de son métier et des hautes performances qu’il accomplit, garantes de son identité (son « équilibre »), puis commence à vaciller pour dévier invariablement vers la chute (au sens littéral) finale. Mais, progressivement, la machine s’emballe, emportée par l’énergie théâtrale des deux acteurs, et l’exercice est poussé à ses limites. Les deux derniers textes (« Le terminateur de spectacle » et « L’amoureux »), qu’ils ont écrits eux-mêmes, nous transportent dans un savoureux autoportrait du comédien contrit et du théâtre sous contraintes – financières cette fois. Le tout est irrésistiblement drôle et attendrissant d’humilité et d’autodérision.