Jan Fabre : Et dans le ciel, une luciole

Mount Olympus

Alpiniste helléniste radical, Jan Fabre s’attaque à l’ascension du mont Olympe : une performance de vingt-quatre heures qui résonne comme un appel. Un appel aux pleurs, à la rage et aux cris. Un appel au renouveau, aussi. Au malgré tout, surtout.

(c) Wonge Bergmann

(c) Wonge Bergmann

Parce que oui, ce 5 décembre à Bruges, au cœur de l’indicible solitude d’un marché de Noël dans le caniveau duquel l’huile de palme a depuis longtemps remplacé le sang du Christ, il restait une raison d’espérer. Et peut-être de croire, malgré tout.

Alors que depuis les années 1970 et l’annonce faite par Pasolini de la « disparition des lucioles » le sentiment d’une avancée inexorable vers la fin du beau et la « merditude des choses » s’est emparé de nos vies, un artiste vient nous rappeler qu’il n’en est rien. Furieux, Jan Fabre crache sur les tombes de ce passé immédiat et sort de ses poches une pioche en or massif pour déterrer de cette glaise qui colle aux doigts nos racines et nos vies oubliées. Profanateur mythologique de nos espérances crevées, il s’annonce ici aussi penseur du Demain. Un penseur du Demain qui crée pour soigner, et dont le mont Olympe n’est autre que ce que Georges Didi-Huberman propose quand il appelle à « repenser notre principe d’espérance à travers la façon dont l’Autrefois rencontre le Maintenant » (« Survivance des lucioles », Minuit).

Au plus profond de ce noir tragique et contemporain, c’est donc en « principes d’espérance » que déboulent Philoctète, Étéocle et Électre dans le présent du Concertgebouw. À poil, hurlants et transpirants de douleur, ce sont bien eux, ces corps défaits poussés au maximum de leurs possibles, qui viennent montrer et démontrer vingt-quatre heures durant la difficulté de l’hier, la beauté de l’avant-hier et les promesses d’après-demain. C’est évidemment dans l’outrance totale que le spectateur est plongé, mais une outrance particulière : celle d’un artiste brûlé vif à la naissance qui depuis ère, persuadé que faire de l’art c’est « agir sur les consciences ». Alors oui, les corps tombent, s’usent et vacillent au rythme sadique des répétitions que leur impose le metteur en scène, mais c’est bien ici que réside toute la cosmogonie de Jan Fabre. Avec ces corps « primitifs et passionnels, sadiques et sexuels », il fabrique ce théâtre vénéneux, « fête de la mort » et seule potion qui, selon lui, pourrait « guérir les spectateurs » (« Journal de nuit », L’Arche).

Et après ? Est-ce seulement possible de se relever du sol sur lequel on se sera endormi à un moment donné de la nuit, pour repartir chez soi ? Et bien oui. Oui parce qu’après tant d’heures passées à montrer l’horreur du monde qui va, Jan Fabre nous propose un possible. Mieux ! En créant pendant une journée entière un noir encore plus sombre que celui qui étouffe nos vies, il nous permet d’apercevoir la lumière émise par la luciole qu’il est, et accessoirement nous offre les outils qui, peut-être, nous permettront demain de « savourer notre propre tragédie ». Et de « créer quelque chose de nouveau », enfin.