Fin et Suite de Simon Tanguy (c) Konstantin LipatovOn s’amuse de l’écart qu’il y a entre le mot et la chose : si le terme « concours de danse » évoque, au mieux, un exercice académique en tutu, une fête de fin d’année dans une salle municipale, ou encore, un programme de télé-réalité sur une chaîne câblée, c’est à un ébouriffant mashup de danse contemporaine qu’on a assisté avec le concours PODIUM : pendant deux soirs, douze créations chorégraphiques s’enchaînent, des solo-duos autant que pièces de groupes, spécialement choisis par des professionnels, qui proposent ici LE spectacle qui les a bouleversés, la crème de la crème de leur moisson ; dans l’espoir que celui-ci retienne l’attention du jury (deux prix) ainsi que celle du public (un prix) – des sélections qui stimuleront la visibilité du spectacle ainsi que la créativité future de ses interprètes.

Un concours sur le papier, une fête avant tout, célébrant la danse et son pouvoir de rapt immédiat. On se rappelle en effet d’autant mieux cette capacité de la danse à captiver par le seul fait de donner à voir du mouvement pur traversant un corps (qu’on “aime” ou pas ce mouvement) à travers cette forme patchwork du concours dans la mesure où celui-ci propose un enchaînement de propositions extrêmement variées,  au milieu desquelles, inégalement touchée, on se voit tout de même saisie, captivée sans être nécessairement touchée, par le simple fait du mouvement. Comme si, en deçà de la sensibilité qui nous fait apprécier, subjectivement, telle ou telle proposition, s’en jouait une plus fondamentale encore – une sensibilité transcendantale, condition de possibilité de la première – qui s’activerait à la simple mise en mouvement d’un corps sur scène.

Salle pleine à craquer, professionnels volubiles (évoquant les raisons intimes de leurs choix), public particulièrement joyeux et visiblement séduit par cette forme galvanisante d’un enchaînement de blitz-œuvres (concours oblige, c’est à des extraits de celles-ci, de 40 minutes maximum, qu’on assiste). Comme toujours avec les fragments, on se délecte du tout chimérique et arbitraire, discontinue et protéen, qu’ils sont capables de former. PODIUM faisait ainsi s’entrechoquer un duo en legging fluo sur plateau blanc à un autre en clair-obscur caravagesque, tout droit sorti de la grotte : de ces univers graphiques et chorégraphiques parfois à des années lumières les uns des autres, il est passionnant de voir enchaînement, entre collisions douces et correspondances franches. Parmi les moments forts du concours se détachait « Délices » d’Aina Alegre (prix du jury), où un duo dénudé se voit traversé par un désir dont la fusion contraste avec la nudité/crudité du plateau et de la lumière : où comment chercher l’hospitalité du corps de l’autre dans un décors d’hôpital. Dans un autre genre, hybridant texte et danse, la création « Fin et Suite » de Simon Tanguy et ses intenses comédiens, se proposait comme une variation anxieuse sur la fin du monde, dans laquelle l’inquiétude de la fin vient contaminer d’urgence autant les corps autant que les mots : la transe du langage et de la parole, leurs frénésies soudaines devenaient la manifestation autant que le remède à l’effondrement. Enfin, un solo hypnotique, « Eldfell » de Benjamin Coyle, semblait rappeler la danse à sa substance même : le mouvement, le geste, encore et toujours, à l’infini, répété. Les prix remis par le jury ont choisi de récompenser une danse assez conceptuelle, tandis que le public a préféré célébrer l’œcuménisme de la danse, sa capacité, tel un creuset, à fondre des influences éloignées : c’est le très beau, quoique sans grande audace “NaKaMa” de Saief Remmide qui fut récompensé. Nul doute que PODIUM concentre et fait rayonner la vitalité de la danse contemporaine.