Perf Act Day : jour audacieux

Perf act day

Au milieu du paysage dansé de la rentrée, il est tâche peu aisée de s’y retrouver parmi les nombreuses silhouettes qui cherchent à ravir les spectateurs affamés, avides de perles chorégraphiques, de gestes brûlants qui blessent autant qu’ils revigorent l’âme fatiguée, de rires et de leurs nuances succulentes.

Thomas Lebrun, lui, faisait un signe discret, presque amusé, en ce 28 septembre, afin de rappeler que le Centre chorégraphique national de Tours occupe un espace singulier dans l’ordre du monde que propose la danse contemporaine française, sur le mode du décalage et du jeu ; pour s’en convaincre, il n’y avait qu’à regarder l’affiche de ce jour d’ouverture, d’élargissement, ce jour de drague, sur laquelle Charlotte Rousseau figurait en costume de banane, l’air songeuse, toute pyrrhonienne. Poésie et absurdité seraient alors nos compagnes dans ce voyage tourangeau. Saluons abondamment la première, qui ne brille pas par son omniprésence dans notre monde actuel, et honorons sa venue dans les rues d’une ville qui semble se déployer autrement ce samedi. Au demeurant, c’est toute la cartographie subjective de la ville qui se défait, se reconstruisant autour de lieux que le CCNT investit : le musée des Beaux-Arts et ses jardins, la cour de graviers du conservatoire, et l’antre chaleureux du Volapük.

Et c’est là, dans cette géographie des lieux métamorphosée, que se lit peut-être le projet de Thomas Lebrun : faire de la danse un agent déformant de notre perception pratique du monde, une désorientation salutaire récréative qui renverrait aux origines d’une poïesis lue comme envie créative, agissante, modelante, une sortie au-dedans et même une échappée du monde. Le Perf Act Day fut une expérience topographique en ce qu’il proposa de réinscrire la danse dans le lieu où elle se produit, et de souligner, d’éclairer, d’illuminer ce lieu. La production de Raphaël Cottin en est l’exemple idoine. Alors que le musée invite à une claustration, à une marche tranquille, patiente et circulaire – regardant de salle en salle le trait, la couleur –, les quatre danseurs révisant dans « Chemins provisoires », la pièce d’Andy de Groat « La Danse des éventails » nous amenait à être sur le qui-vive, à guetter le rassemblement de ces corps, pour certains dédoublements étranges d’une œuvre picturale, d’un portrait de femme du xviiie siècle, pour d’autres exécutants animaliers d’un rythme marqué par des métronomes désaccordés, et soudain ces danseurs nous poussaient à courir au-dehors, nous qui étions pressés de les voir s’ébaudir sérieusement dans les jardins du musée, accourant pour ne rien manquer de ces gestes que l’on manque pourtant nécessairement parce qu’ils sont faits collectivement. Alors la pelouse tremble, cette pelouse qui ne pourrait – semble-t-il – que convenir à quelque décor bucolique de ballet paraît flotter, devenir magique quand résonnent les notes du thème à partir duquel s’est construite la pièce de De Groat ; il faut le dire, il y a un certain lyrisme dans la peau de ce jour performé. Un lyrisme de la liberté et de l’émancipation qui nous pousse à rechercher plus d’air, à briser le cadre de la toile, à apprendre à ne plus savoir marcher au pas. Cette vision de la danse est rassérénante, accueillante ; c’étaient des sourires sur presque tous les visages, d’étonnement, de ravissement, des microgestes qui sont eux aussi de petites danses.

Certes, très contemporaine, cette journée fut aussi l’occasion par ces nombreuses danses in situ de redonner corps au répertoire de danse, qui se meurt parfois dans certains endroits s’il n’est pas transmis, et il devrait l’être partout continuellement. En ce sens, le remix de « Rosas danst Rosas » par Emmanuelle Gorda pour des élèves de lycée fut particulièrement touchant et haletant ; soulignant l’existence pleine et entière de ces corps jeunes qui se doivent de déroger à la passivité des salles de classe pour s’épanouir. Refaire, c’est alors bien se rappeler, bien se souvenir pour revoir, et ainsi réfléchir. Le programme tel qu’il était fait, proposant plusieurs fois la même œuvre aux spectateurs, martelait ce besoin de la redite, des retrouvailles permanentes. Et derrière ces retrouvailles, il y eut aussi de joyeuses trouvailles, à l’image de la fabuleuse Charlotte Rousseau, qui dans « Le Beau Spectacle » déconstruit les exaltations des projets de création, dans un solo qui exhibe les déceptions que suscitent les non-soutiens de l’entourage ; mais vaille que vaille Charlotte Rousseau veut danser. Armée d’une machine à fumée, d’une bande-son répétitive et d’un masque à l’effigie d’un mort illustre – on ne veut pas divulgâcher le plaisir de cette découverte incongrue –, l’artiste propose un spectacle qui se délite et dont les tourbillons qui l’abîment constituent heureusement la plus grande force, Charlotte Rousseau se donnant en parente ingénue d’une Dominique Gilliot. Ce solo illustre in fine l’audace des petites choses dont se réclame ardemment Thomas Lebrun lors de cette journée qui fut une heureuse réussite.