Voilà déjà vingt ans que Marseille vit au rythme de son festival chaque début d’été. Mais cette année marque le début d’une nouvelle ère, et il est désormais urgent de découvrir à nouveau ce festival multidisciplinaire où le travail des corps se taille la part du lion.
Urgent et nécessaire, car cette programmation que nous offre Yann Goossens, tout juste auréolé de ses quinze ans de direction du KVS de Bruxelles, est à la fois accessible et exigeante, urbi et orbi. Non, ce ne sont pas que des mots éculés et rabâchés en cœur par tous nos programmateurs de festival ; la preuve en actes. L’étonnant spectacle d’ouverture, première européenne du très magnétique Peter Sellars, donne précisément l’ampleur du projet. La Criée, théâtre national de Marseille, accueille quinze danseurs de flexing, venus de New York. Le flexing ? « Si tu viens de Brooklyn, tu fais du flexing. Le flexing, c’est un truc de Brooklyn comme le lite feet est un truc de Harlem, comme le popping et le b-boying sont des trucs du Bronx. » Dixit Android alias Martina Heimann. Bien, mais l’important ici n’est pas ce que c’est mais bien ce que ça provoque. L’énergie (tiens, un autre mot éculé qui prend ici toute son épaisseur) se transmet sans filtre ni obstacle culturel et, au-delà des performances scéniques, c’est bien dans la salle que tout est transformé. Vivre, avec ce public jeune, métissé, à qui les portes des théâtres semblent toujours trop lourdes à pousser, l’expérience d’une communion qui crée le sentiment d’être chez soi dans l’institution publique, relève du coup de maître. Le piège de l’étendard « démocratisation culturelle » est proche, mais soyez soulagés, cette programmation brille à la fois de pépites et de maîtres. C’est ici que Taoufiq Izeddiou présente pour la première fois en France son solo « En alerte » (voir nos articles du Kunstenfestivaldesarts), ici encore que les retardataires pourront enfin découvrir la version trash-kitch-afropop du « Macbeth » de Brett Bailey, ici aussi que l’on peut retrouver avec envie et admiration le travail d’Ester Salamon, Lemi Ponifasio ou la version marseillaise de « Gala » de Jérôme Bel.
Non, ce n’est pas trop tard ni trop loin pour vous, festivaliers d’Avignon ! Plus de places à la billetterie du IN ? Lisbeth Gruwez est aussi à la Minoterie, nouveau QG du festival. Besoin d’air marin ? Profitez-en pour assister à l’inclassable « Coup fatal » d’Alain Platel et à « Gardens Speak », installation performative intime et puissante de Tania El Khoury.
Marseille est si proche et réserve de belles surprises aux amateurs en manque de propositions nouvelles, risquées et sincères ; dès la prochaine édition, des projets ambitieux se mettent en place dont une création déambulatoire de Brett Bailey et une version 100 % Marseille de Rimini Protokoll. Et puisque Yann Goossens a choisi de publier un essai d’Adam Krauss, « L’Art comme politique », en guise de cadeau d’adieu à ses années bruxelloises, laissons-leur le dernier mot :
« Lorsque l’art est un article de commerce qui doit bien se vendre pour avoir de la valeur, il devient une simple marchandise et n’est pas une source de valeur ou de signification. La production artistique centrée sur un show-business lucratif réduit l’art à une marchandise jetable dont la fonction est de remplir les poches de l’industrie culturelle. » Voilà qui est dit.