Blaise Pettebone : “Toi, tu creuses”

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Borges disait que son écriture n’était pas constituée de fictions mais plutôt de « faits ». C’est sûrement quelque chose de cet ordre-là que j’aimerais faire justement avec « Toi, tu creuses » ! Aller chercher une vérité, une forme de réel dans l’action sur scène, dans les personnages. Et le fait divers est un très bon terrain de jeu pour ça. C’est un formidable révélateur de société dans le sens où il permet de pénétrer immédiatement dans les grands sujets du temps, dans les lignes de faille d’une époque. Mais je ne voulais pas partir d’un véritable fait divers. J’avais peur qu’il ne finisse par me rattraper et que je n’arrive pas à m’en émanciper. J’ai donc inventé un fait divers que j’ai voulu ancrer à la réalité possible.

Le processus d’écriture est au cœur de ce projet, pour lequel j’ai souhaité travailler avec une scénariste habituée à écrire pour le cinéma, sans partir d’une œuvre ou d’une source littéraire existante. Ensemble, nous écrivons la trame narrative principale du spectacle, qui nous sert de base pour un travail d’improvisation avec les comédiens. Nous partons de situations proches de la trame et dressons une série de portraits, de relations possibles. « Toi, tu creuses » est donc un spectacle qui cherche à jouer sur la véracité des faits, à interroger le réel. Le spectateur doit croire à notre situation et à nos personnages : plus il croira à ce postulat de départ, plus nous pourrons progressivement nous en éloigner et basculer dans l’absurde. Cette plongée dans l’absurde et le tragicomique, nous voulons la faire à travers l’exploration de nos personnages : aller au bout de leur bêtise pour trouver leur humanité profonde.

Cette idée de construire une intrigue qui sera en mouvement permanent, portée à la fois par un travail d’écriture « scénaristique » et par un travail d’improvisation des comédiens, vient interroger le processus même de l’écriture et nous permet de nous demander : comment raconte-t-on une histoire ? L’une de mes sources principales est le cinéma des frères Coen. Je suis passionné par leur manière de travailler. Surtout les films des années 1990-2000. Ils nous montrent une société américaine pleine de mythes et de fantasmes à travers le regard de personnages terriblement maladroits. Leurs histoires sont souvent loufoques, parfois sordides et complètement absurdes, mais elles ne sont pas si éloignées d’une certaine réalité qui nous entoure. « Toi, tu creuses » se situe aussi dans les années 1990 pour rendre hommage à ces sources d’inspiration, à « Fargo » notamment, et à cette décennie dans laquelle j’ai grandi et qui a donc fortement influencé ma façon de voir le monde et le théâtre.

Je suis sensible au théâtre ou à toute forme de narration qui sait nous rendre curieux, qui va avoir des conséquences sur nos actions pendant les minutes, les heures voire les jours qui suivent. Quand je vais voir un spectacle et que je me dis : « Ah, j’aimerais bien être sur scène et faire ce qu’ils font là », c’est souvent que le spectacle est réussi, à mes yeux bien sûr ! Donner envie, être généreux, c’est important je crois. Je crois aussi que j’apprécie de travailler sur quelque chose que j’aimerais voir en tant que spectateur ou que j’aimerais faire en tant que comédien. Car oui, je cumule les casquettes. Et ça me plaît.

Je crois que le talent, c’est d’avoir envie, et mon envie dépasse le plateau de théâtre. En France, on aime parfois à avoir des étiquettes, dans le milieu de la culture notamment. On est soit « comédien », soit « metteur en scène », soit « chargé de stratégie culturelle ». Mais pourquoi ne pas cumuler les atouts et les compétences ?

Mutualiser les contacts et les forces créatrices, innovantes et politiques. Être acteur à plusieurs endroits précis, celui d’une troupe, d’une compagnie, de la vie culturelle d’une ville, d’une région. Aller à la rencontre de nouveaux publics, de nouveaux partenaires. Aider, là où la culture est considérée comme un pilier de la société.

Développer des projets artistiques et humains, audacieux et malicieux, entre jeu et réflexion, rire et passion, pédagogie et création. Mais toujours avec une joyeuse ambition !