À Tours, on ne se baigne jamais quatre fois dans la même piscine. Puisqu’une « nouvelle tentative de saisir, le temps d’un week-end, le théâtre qui s’invente aujourd’hui » est rarement superflue, l’illustrissime Wet°, festival de jeune création contemporaine, est de retour. Toujours portée par les comédien.ne.s de l’ensemble artistique du Théâtre Olympia, cette 4e édition assume plus que jamais sa raison d’être aquatique, puisqu’elle choisit le « bleu » comme emblème. Moins adeptes du bluest eye de Toni Morrison, pupille de poupée trop azurée pour être honnête, que du bleu stellaire d’un Georges Bataille, symbole d’une liberté créatrice irrévérencieuse, les programmateur.trice.s ont prélevé cette année neuf propositions dans le jeune paysage théâtral francophone. Soutien renouvelé aux compagnies régionales, ouverture nouvelle à l’Europe (« Durée d’exposition », de Camille Dagen, a remporté le prix du public du festival Forward de Dresde), ce nouveau creuset créatif se veut encore plus éclectique (cirque, théâtres élisabéthain,contemporain, documentaire, masqué, musical…).
« Trois jours pour s’immerger dans l’émergence », trois jours pour mettre le monde contemporain « dans un aquarium », comme le voulait Roland Barthes, pour mieux s’en trouver rapproché et séparé, pour mieux consumer ses contours, ses signes extérieurs (capuches, quais de gare, plantes vertes…), qui fabriqueront à la scène de nouveaux dissensus poétiques et politiques. Aussi hétéroclite qu’elle puisse paraître, cette programmation puise bel et bien sa raison d’être dans une certaine vaporisation du matériau dramatique. Acte de collectage testimonial chez Julie Guichard (« Part-Dieu, chant de gare »), chantier de plateau dans « Toi, tu creuses », de Blaise Pettebone, cash investigation pour Hugues Duchêne (« Je m’en vais mais l’État demeure »), fait divers mythifié pour « Change Me » (signé par Camille Bernon et Simon Bourgade), ou ethnographie botanique dans « Le Palace de Rémi » (compagnie Laïka), ce jeune vivier promet une joyeuse déchloration du théâtre politique.
Joyeuse sans être insouciante ni irresponsable, car si Wet° crawle dans le vent frais de l’actualité théâtrale, c’est surtout parce que son théâtre n’a qu’un temps : le présent. Travaillés et déchirés par l’urgence, les « germes actifs » qu’il nous propose (pour reprendre les mots de son instigateur, Jacques Vincey) ne conçoivent pas autre chose que des réalités provisoires : le « Hamlet » rebelle de Roman Jean-Élie dynamite la narrativité shakespearienne, tandis que l’épopée événementielle d’Hugues Duchêne est contrainte d’accueillir de nouvelles péripéties (le spectacle étant présenté cette fois en deux parties). « Le théâtre est ce qui fait que le rouge d’une robe est le même que le bruit d’un décor qui tombe », écrivait Olivier Py, mais dans cette heure bleue artistique que prolongera Wet° jusqu’aux premières lueurs du lundi, où la couleur du monde qui s’écroule n’est jamais la même, c’est toute une correspondance symbolique du réel et de la scène qui se jettera à l’eau.